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NOTICES BIBLIOGRAPHIQUES


F. Bouillier. — Études familières de psychologie et de morale. Paris, Hachette, 1884.

Ce livre est de ceux qui se font lire, car il est écrit pour tous, je veux dire, pour tous les esprits qui s’intéressent aux choses de l’âme humaine. S’il est des moments où l’infini nous tourmente, il en est d’autres et les plus fréquents, où les choses de la vie suffisent à nous attacher. Par le temps qui court, les chercheurs d’absolu se font rares et l’ambition d’arracher les voiles de l’Inconnaissable a déserté presque tous les esprits. C’est donc plaisir de suivre M. Bouillier à travers ce monde où l’homme s’agite, et où il mange son pain quotidien. Ce pain que Dieu nous donne il faut savoir le manger avec méthode et le partager avec nos semblables selon les règles d’une charité bien entendue. Or, on n’apprend point cela en un jour et pour acquérir cette science délicate, les sermons ne seront jamais de trop, même ceux d’un prédicateur laïque.

Sachons d’abord prendre la vie, telle que le sort nous l’a faite. En ces temps de pessimisme, il y aurait peut-être présomption à se croire indemne, si les maladies qui sévissent sur les âmes choisissaient aveuglément leurs victimes. Heureusement, il n’en est rien : on ne devient pessimiste qu’à la condition de le vouloir, ou plutôt d’écouter avec trop de complaisance les conseils de sa capricieuse humeur. On voit les choses moins comme elles sont que comme on est soi-même, et si nous laissons notre humeur varier selon la température, les occasions ne nous manqueront pas de jouer le personnage d’Héraclite. Rien n’est aisé comme de se plaindre, et les âmes paresseuses n’ont rien de plus pressé que d’instruire le procès de Dieu. M. Bouillier, on le sait, n’est point suspect d’optimisme et la franchise avec laquelle il a fait maintes fois le procès des hommes de son temps, donne à ses sages conseils une rare autorité. Il y a, pense-t-il, des compensations dans la vie humaine, même dans notre âge de fer, sans quoi personne ne se résignerait à vivre. Le mal n’est-il donc qu’à la surface des choses ? Peut-on dire, comme autrefois, Leibnitz, qu’entre le bien et le mal la différence est simplement une différence de degré ? « Le malheur, dit Jouffroy, ne fait que imiter le bonheur, comme le mal ne fait que limiter le bien. » Si nous avons bonne mémoire, le philosophe auquel nous devons le Plaisir et la Douleur, l’une de nos meilleurs monographies psychologiques, incline-