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ANALYSES.Strümpell. Esquisse d’une psychologie.

s’appliquent justement les recherches de la psycho-physique, et les séparer enfin selon qu’elles appartiennent au pur mécanisme psychique, comparable à toute suite d’évènements dans la nature, ou qu’elles sont influencées par d’autres faits de conscience, influence dont le témoignage est à chercher dans la haute vie intellectuelle et morale.

De cette analyse de nos états représentatifs, M. Strümpell passe à l’analyse du contenu propre de la conscience, où il trouve la « représentation », laquelle enferme une réalité qui est en soi indifférente, le « sentiment », qui donne déjà une valeur à la représentation (la représentation de la rose éveille pour l’odorat le parfum de la rose) et l’e effort », qui donne à la représentation un effet quantitatif, Il envisage ensuite, descendant dans le détail, le contenu de la représentation dans la conscience, — sous le rapport de la figuration : la représentation est figurée (telles les images du souvenir, du rêve, de l’hallucination), ou elle est sans forme, sans attribut d’espace ; sous le rapport du degré de formation : représentations complexes, représentations générales, concepts et idées, série qui commence au penser naturel pour aboutir au penser méthodique, sous le rapport qualitatif et formel : telle représentation entraîne une sensation de bien-être ou de mal-être, telle se présente sous la forme de l’espace et du temps.

À propos des images du souvenir, l’auteur s’inquiète de savoir si les objets gardent bien, dans l’image que nous en avons, leur pleine qualité. Lotze disait que le souvenir d’une couleur était pour lui sans couleur. Le souvenir, remarque M. Strümpell, n’est, pour la plupart des hommes, qu’une représentation schématique. Il faudrait ici, observerai-je, pouvoir faire le partage de ce qui revient à la qualité de l’impression originale et à la fidélité de la fibre nerveuse. Un peintre, mon intime ami, revenant de voir le Christ devant Pilate de M. Munckaczy, en a ébauché de souvenir une petite copie assez exacte ; une autre fois, il a reproduit en spirituel pastiche le Sardanapale de Delacroix. Il suffit au même artiste d’une audition d’un quatuor de Beethoven ou de Schumann pour en retenir des phrases entières avec leurs effets d’harmonie, et il lui arrive de retrouver, après trente ans, des motifs d’un opéra oublié dont on viendra à parler, qu’il a entendu dans sa jeunesse. Si sa mémoire picturale doit beaucoup à l’exercice professionnel, il n’en est pas ainsi de sa mémoire musicale, où il n’entre rien du métier. Tel musicien de profession, qui distingue nettement le ton, la mesure, les notes d’un morceau qui est joué, n’en retiendra pas, au contraire, le moindre passage ; et il importerait donc de tenir compte, dans l’étude des phénomènes de la mémoire, de l’état de l’appareil enregistreur autant que de l’état de l’impression elle-même.

Je reviens à notre auteur et à sa psychologie générale.

Avec la représentation, la conscience contient encore le sentiment et l’effort. Efforts ou désirs forment une chaîne parallèle à celle des sentiments, et le sentiment est la source des causalités qui agissent librement dans l’âme. Telle est, en gros, la distribution, exposée avec soin