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ANALYSES.kussmaul. Les troubles de la parole.

L’étude des dysphasies est consacrée aux troubles connus sous le nom courant d’aphasie. Notre auteur a réagi le premier contre l’habitude de désigner sous le titre commun d’aphasie un grand nombre de symptômes de nature fort différente[1]. On a ainsi construit une entité morbide dont les traits ont été réunis, sans une profonde compréhension de actes élémentaires qui constituent la parole. Sous ce terme on a englobé : 1o l’aphasie ataxique ou l’impossibilité de coordonner les mots ; 2o l’aphasie amnésique ou l’impossibilité de se rappeler les mots comme signes acoustiques, 3o la surdité verbale ou l’impossibilité, malgré l’intégrité de l’oreille et de l’intelligence, de comprendre les mots, comme auparavant : 4o la paraphasie ou impossibilité de relier les images des mots avec leurs idées, de telle façon qu’à la place des images exactes, il en surgit d’autres contraires où incompréhensibles ; 5o l’agrammatisme ou l’impossibilité de former les mots grammaticalement et de les arranger dans la phrase suivant la syntaxe.

Kussmaul étudie ces formes morbides avec descriptions et observations à l’appui. C’est une des parties les plus intéressantes et les plus riches en faits de l’ouvrage. La cécité et la surdité verbales (dénominations qui lui sont dues) font l’objet d’un chapitre spécial. La question, surtout en ce qui touche la surdité verbale, a été examinée depuis de plus près. Nous renverrons sur ce point aux leçons publiées par M. Charcot dans le Progrès médical (1883-1884).

Les troubles dyslogiques (on dysphrasies) proviennent des troubles de l’intelligence. Il s’en rencontre, à chaque instant, qui forment une transition vers les dysphrasies pathologiques proprement dites. L’auteur en cite de curieux exemples : répétition fréquente de tels mots, de tels membres de phrases, même d’une phrase entière ; habitude de certaines gens de répéter des fins de phrases qu’ils ont entendues. Elle a lieu quelquefois par distraction et peut se traduire soit par la parole, soit par l’écriture. Tel est ce professeur qui « donna à un étudiant qui avait suivi ses leçons sur la chimie inorganique avec beaucoup de zèle, le certificat suivant : M. l’étudiant Schmidt a suivi mes leçons sur la chimie avec une activité inorganique » (p. 246). La dysphrasie peut aussi avoir lieu par trouble du pouvoir d’arrêt : on invite un malade à compter jusqu’à 6 et il compte jusqu’à 10,100 et plus, jusqu’à ce qu’enfin voix lui manque.

L’auteur passe en revue un grand nombre d’autre troubles dela parole, mais qui ne peuvent intéresser que le médecin ou le linguiste. Nous regrettons de ne pouvoir mettre sous les yeux du lecteur la figure schématique dans laquelle Kussmaul représente, tels qu’il les conçoit, les rapports des divers centres nécessaires à l’expression de la pensée. Il admet, outre un centre général d’idéation, des centres, acoustique, optique, vocal et graphique : tous reliés centre eux par des trajets afférents

  1. Voir l’article de M. Féré « Les troubles de l’usage des signes » dans la Revue de juin dernier. Les figures jointes à cet article seront utiles au lecteur pour comprendre les remarques de Kussmaul sur le prétendu « siège de la parole ».