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que nous voyons par quels mécanismes nombreux et délicats le mot se forme et se traduit, comment la maladie, dissociant de diverses manières les éléments nécessaires à sa constitution complète, lui inflige des mutilations variées.

L’auteur étudie d’abord le centre basilaire vocal, les dispositions anatomiques qui font paraître le bulbe comme approprié à la coordination des mouvements du son et les faits cliniques qui mettent hors dé doute sa participation (avec la protubérance) à l’articulation. Tels sont les troubles articulatoires de la paralysie bulbaire, de la sclérose diffuse de la moelle et du cerveau. Les fonctions de la substance corticale sont ensuite longuement étudiées dans un historique de la localisation de la parole (Gall, Bouillaud, Dax, Broca).

Toutefois, il ne tombe pas dans l’erreur commune à beaucoup de médecins qui, depuis la découverte de Broca, parlent du « siège » de la parole, absolument comme s’il s’agissait d’une entité résidant dans une partie exclusive du cerveau. Kussmaul s’élève à plusieurs fois et avec force contre cette doctrine (en particulier, p. 39 et 164). « Il n’existe pas dans le cerveau un « centre de la parole », au un « siège de la parole, aussi peu qu’un siège de l’âme. L’organe central de la parole est bien plutôt constitué par un grand nombre d’appareils ganglionnaires, séparés les uns des autres, reliés entre eux par de nombreux trajets et remplissant des fonctions psychiques sensorielles et motrices. Mais aucun de ses appareils ne sert exclusivement à la parole ; les mécanismes nerveux peuvent être utilisés pour différents buts ». « Nous passerons en souriant, dit-il ailleurs, sur les naïves recherches qui consistent à chercher un « siège de la parole » dans telle ou telle circonvolution cérébrale, Il est de prime abord probable qu’une énorme zone d’association appartient dans l’écorce à la parole ; sans doute le clavier des sons peut être localisé dans les régions corticales antérieures d’où émanent les mouvements volontaires, mais la parole doit être en rapport avec toute la zone de l’intelligence, et celle-ci comprend bien toute l’écorce… Dans les destructions circonscrites de la substance corticale, ce n’est tantôt que le mot moteur avec son image de mouvement qui disparaît, tantôt c’est le mot sensoriel en tant que image de mot ou d’écrit, tantôt c’est le rapport du mot et de l’idée qui est rompu… Les formations motrices des mots doivent avoir lieu dans d’autres voies que les images de mots acoustiques et optiques et celles-ci en d’autres voies que les idées. Mais sitôt que nous cherchons avec l’aide de la clinique à suivre plus étroitement ces trajets, nous nous heurtons à des difficultés qui sont encore insurmontables. Nous reconnaissons bientôt que les voies de la parole sont tellement entrelacées entre elles et avec celles de l’idée, qu’il ne nous appartient pas de les démêler et d’indiquer les situations particulières de ce trajet labyrinthique. La région seule du clavier de la parole se laisse à peu près deviner. »

Kussmaul divise les troubles corticaux de la parole en deux grandes classes : les dysphasies (troubles de la diction) et les dysphrasies ou dislogies émanant d’une maladie de l’intelligence.