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cher, dans une encyclopédie de pathologie interne : Ziemssens Handbuch der speciellen Pathologie und Therapie : il forme le supplément du 13e volume consacré aux maladies nerveuses, Il est donc heureux que M.|le Dr Rueff}} ait mis à la portée des lecteurs français un livre qui tient à la psychologie presque autant qu’à la médecine. Pour un travail de cette nature des connaissances philologiques et psychologiques étaient indispensables : on les rencontre chez Kussmaul. Max Müller, Geiger, Steinthal, Lazarus lui sont aussi familiers que Wundt, Bain, Spencer, Taine, etc., et il ne peut à aucun égard mériter le reproche de s’attacher, en dehors de la médecine, à des doctrines arriérées. Ajoutons à cela que les notes du Dr Rueff, chef de clinique à la Faculté de médecine de Paris, témoignent d’une connaissance étendue des publications les plus récentes en philologie, psychologie, ethnologie.

La parole n’est pas une découverte humaine, comme le prétendaient les philosophes du xviiie siècle, elle est une œuvre de la nature, une physis et non une thesis. Elle apparut sans but, dit Steinthal, bien qu’elle soit employée avec conscience et intention. En tant que expression, elle est l’objet de la philologie comparée et de la psychologie des peuples ; en tant que acte physico-psychique, elle est l’objet de la physiologie et de la psychologie. Par la façon dont elle se forme, au début, la parole peut être considéré comme un réflexe appris.

Dans son premier stade, en quelque sorte préparatoire, en tant qu’interjection, geste ou son imitatif, la parole est un réflexe de sentiment et d’imitation. Ces interjections, gestes et sons imitatifs sont les premières racines de la pantomime et de la parole ; mais ils ne sont pas les seules. Parler, c’est se comprendre soi-même et comprendre les autres. L’interjection et l’onomatopée sont le passage qui mène à cette compréhension. Toutes deux fournissent à l’être pensant les premiers mots ou plutôt les embryons des mots destinés à traduire ses sentiments et ses perceptions d’une manière compréhensible. Max Müller et Geiger ont nié à tort cette origine du langage et réduit presque à néant le rôle de l’interjection et de limitation. Dans les affaiblissements intellectuels, passagers ou durables, la parole quelquefois rétrograde, retombe au degré du stade préparatoire : cela se rencontre assez souvent chez les aliénés, et Romberg a décrit sous le nom d’Echosprache (écholalie) un état où les malades répètent avec monotonie les mots et phrases prononcés devant eux, mais sans y ajouter aucune attention, ni surtout aucun sens.

L’auteur soulève incidemment (ch.  v) l’intéressante question de savoir pourquoi le son est devenu non seulement l’interprète préféré des sensations auditives (auquel il est joint par un rapport naturel) mais de toutes les sensations. C’est que de tous les sens, l’ouïe est celui qui possède le registre de sentiments le plus riche. De tous les arts, c’est la musique qui nous agite le plus profondément : non seulement les sons, mais les bruits eux-mêmes agissent sur notre disposition d’esprit. En outre, les sons rendent avec plus de rapidité et de force les intuitions des autres sens.