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ANALYSES.stricker. Physiologie des Rechts.

que nous avons constatée. Ce n’est le cas que pour les lois rendues par l’État. L’État maintient les lois politiques, la société les lois morales. Ces deux groupes de lois diffèrent par la puissance qui nous contraint à les suivre. Quiconque se soustrait à l’influence de la société n’est pas soumis aux lois morales. Il y a une différence entre ces lois morales et la force intérieure (innerer Zwang) que Kant a nommée l’impératif catégorique : l’idée que j’ai des droits et des devoirs forme cette force intérieure, qui m’empêche de commettre des actions immorales et est en même temps la base de ce qu’on nomme volonté morale (sittlicher Wille). « Un individu qui a été rendu attentif dès sa jeunesse à l’influence des puissances morales, peut si intimement lier les représentations des devoirs moraux à toutes les complexités qu’il s’est appropriées par le commerce social, que, parvenu à l’âge mûr, il agit moralement par suite d’une force intérieure » (p. 91).

Passant enfin à l’exposition de l’idée du droit, M. Stricker démontre d’abord que cette idée n’est pas métaphysique, qu’il n’existe en général pas d’idée métaphysique, que même l’idée de Dieu n’est pas métaphysique. Comme il ne peut surgir de notre savoir potentiel que ce qui y a été déposé antérieurement, c’est-à-dire des données du monde extérieur ou des processus qui ont eu lieu dans notre corps, il n’y a que des représentations qui ont été antérieurement déposées en nous, qui puissent être éveillées lorsque notre esprit est occupé d’idées spéculatives sur la nature de Dieu. En apprenant quelque chose, nous lisons ou apprenons un mot et (par nos sens auditif et visuel) le sens que d’autres y rattachent. Ce que l’enfant a déposé dans son savoir potentiel relativement à l’idée de Dieu ne peut provenir que des religions positives ou repose sur ce qu’ont inventé ses précepteurs ou d’autres. Les philosophes qui spéculent sur les idées métaphysiques ne peuvent comprendre qu’ils ne peuvent faire sortir de leur savoir potentiel que de nouvelles combinaisons de leurs anciennes acquisitions intellectuelles.

Les idées concrètes ne sont que des noms de choses du monde extérieur ; les idées abstraites sont — d’après la grammaire, — les noms de représentations que nous nous imaginons comme étant des objets indépendants du monde extérieur, mais qui ne sont en réalité que des qualités reconnues de certains objets. Cela n’est pas juste, car pour moi ce sont toujours des représentations concrètes que j’ai et qui se rattachent à certains objets du monde extérieur. Prenons par exemple l’idée abstraite du droit.

Mon idée du droit se compose de toutes les complexités qui se rapportent à des droits ou à des devoirs. Quand je me sers du mot droit il n’y a que certaines de ces complexités qui s’y rattachent, mais c’est leur totalité qui constitue la source de ma conscience du droit, La base de l’idée que j’ai du droit. C’est ainsi que les représentations des biens d’un propriétaire lui reviennent l’une après l’autre, chacune