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sans qu’elle se vaporise, et qu’elle est alors à l’état liquide malgré elle, de même je puis abaisser sa température jusque des dix et des vingt degrés sous zéro sans qu’elle se prenne. Ses molécules sont alors dans un état d’équilibre instable, et il suffit de la cause la plus légère pour qu’il vienne à cesser brusquement un choc, un fragment de glace projeté dans la masse. Tel serait le chlorure d’azote, et tels les tissus vivants.

Il ne manque pas d’analogies pour faire comprendre la substitution graduelle de l’équilibre stable à l’équilibre instable, par exemple, les pierres branlantes et les glaces flottantes du pôle. Quand des blocs d’une matière dure se trouvent apportés par hasard sur un terrain qui se désagrège facilement sous l’action de la pluie et de l’atmosphère, ils finissent par se trouver perchés sur une espèce de colonne qui s’est formée sous leur abri, mais qui continue à être rongée sur ses contours libres et exposés à l’air. A la longue, le support s’amincit tellement que le bloc branle, et, un beau jour, il s’effondre. De même la partie des icebergs qui plonge dans la mer se fond peu à peu ; le centre de gravité de la masse se déplace lentement, et un moment vient où, se trouvant au dessus du centre de flottaison, la masse entière culbute. De part et d’autre c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase.

C’est de cette façon qu’il faut-se représenter la formation des instables organiques, de ces groupes tels que aA et bB qui se réduisent sous la moindre excitation. L’union de leurs éléments qui s’est faite naturellement sous des circonstances favorables, persiste quand ces circonstances ont changé.

On pourrait même aller plus loin et se demander si la combustion des tissus ne fournit pas précisément la chaleur indispensable pour la formation de nouveaux tissus. On s’expliquerait alors pourquoi la suspension de la respiration et la privation d’oxygène tuent tout être : vivant. Les expériences de Pasteur sur le charbon inoculé à des poules sont venues montrer que le virus charbonneux ne résistait pas à une température de 41°, et qu’il fallait refroidir le sang des poules pour le rendre apte à s’infecter. Le sang refroidi est donc plus instable, plus attaquable, plus facile à se décomposer que le sang à la température normale. J’arrête ici les déductions qu’on pourrait tirer de cette explication des instables.

Quoi qu’il en soit, il est incontestable, ce me semble, que tout organe contient de la matière instable qui se fixe quand il fonctionne.

Un mot encore. Toute combinaison, si stable qu’elle soit, est toujours instable en quelque façon. Si bien unies que soient les mo-