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giques, seront détournés du travail continu par la moindre futilité.

Revenant à la cause de la logique de nos pensées, l’auteur poursuit : La pensée spéculative repose sur trois suppositions : 1o que nous avons des expériences qui se rapportent à notre sujet ; — 2o que nous pouvons en rester à notre sujet, c’est-à-dire que ce ne soit que la partie de notre savoir potentiel s’y rapportant qui soit éveillée ; — 3o que, par suite des représentations provenant d’abord d’une excitation extérieure, puis s’évoquant et se rattachant les unes aux autres, nous parvenions à nous former une nouvelle complexité qui nous satisfasse, étant en harmonie avec nos expériences. Si c’est le cas, les réflexions spéculatives (das speculative Denken) sont complètes à l’égard du sujet. Mes pensées seront logiques, si mes expériences répondent aux circonstances réelles, si mon système nerveux fonctionne bien et si je n’ai pas oublié certaines parties des représentations que mon savoir potentiel s’est autrefois appropriées. Une nouvelle combinaison ne nous satisfait que si elle concorde avec les anciennes et elle nous satisfait d’autant plus qu’elle s’accorde plus avec elles. Si, par suite d’une action prolongée, une partie quelconque de l’écorce cérébrale est plus excitée que les autres, ce seront les représentations qui en dépendent qui domineront en nous.

La connaissance ne dépend donc pas, de l’avis de l’auteur, de la formation (construction) d’un syllogisme, elle se produit au moment même, où la représentation propre nous apparaît. Si elle n’est pas connue du reste des hommes ou si ces derniers ne veulent pas en reconnaître la justesse, il faut que nous la décomposions en mots et que nous tachions de l’appuyer par des explications verbales que nous ne formons qu’après que la connaissance pour ainsi dire intuitive (die fertige Erkenntniss) se sera formée en nous.

La logique comme discipline, ajoute-t-il, est une partie de la grammaire. Elle se sert d’une décomposition orale et désigne faussement le résultat de l’analyse comme une règle d’après laquelle on doit penser (p. 40), — comme « une loi de la pensée et une règle de l’art d’arriver à la vérité », ainsi qu’on dit en France.

Il est intéressant de rapprocher les derniers passages de ce que dit Descartes dans la 2e partie de son Discours de la méthode : « je pris garde que, pour la logique, ses syllogismes et la plupart de ses autres instructions servent plutôt à expliquer à autrui les choses qu’on sait, ou même, comme l’art de Lulle[1], à parler sans jugement de celles qu’on ignore, qu’à les apprendre ; et bien qu’elle contienne, en effet, beaucoup de préceptes très vrais et très bons, il y en a toutefois tant d’au-

  1. Le lecteur sait qu’au x siècle R. Lulle imagina une « Ars magna » qui devait former, en remplaçant les chiffres par des mots ou des idées, une sorte de mécanique intellectuelle, résolvant toutes les difficultés. — Il va sans dire que c’étaient des jeux de mots que produisait, au lieu d’idées, ce comble de la scolastique.