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nom, — Nous convenons entièrement qu’il en est ainsi, mais nous trouvons que l’auteur, en reléguant l’inconscient hors du terrain scientifique, n’a pas épuisé les preuves qui sont en faveur de sa thèse. Par exemple, il nous arrive parfois d’être trop pressé pour pouvoir mettre sur le papier nos idées. Dans ce cas nous n’y mettons qu’un mot ou quelques traits bizarres ou symboliques, en nous disant que ce signe-là doit nous rappeler telle ou telle idée, comme quand nous faisons un nœud à notre mouchoir. En revoyant ce signe qui joue le rôle de signe mnémotechnique, l’idée nous revient, Comment faire intervenir, dans ce cas, un syllogisme complet ou écourté ? On ne pourrait dire que : « par ce signe-là j’ai voulu me rappeler telle chose, donc ce signe la représente », — On voit l’impossibilité absolue de se référer à un syllogisme. Il ne reste donc qu’à accepter la thèse de M. Stricker. Il en est de même pour les cas suivants que nous offre également notre propre expérience. Nous entendons une mélodie et nous nous souvenons des vers qui s’y rattachent dans notre mémoire. Ou bien, il arrive qu’en parlant ou en écrivant dans une langue quelconque, un mot vient à nous manquer. Si nous répétons machinalement ce mot (ou bien des phrases où ce mot se trouve) dans une autre langue, dont nous avons souvent fait des traductions dans celle que nous voulons employer (et dans laquelle nous traduisons aussi le reste de ces phrases que nous avons subitement formées) le mot qui nous manquait revient. Comment, répétons-nous, faire intervenir ici le syllogisme ?

Après avoir établi cette thèse l’auteur s’occupe du doute. En voyant un homme, — dit-il, — qui ressemble autant à un cordonnier qu’à un sellier, nous rattachons à la représentation de cet homme tantôt l’idée d’un cordonnier, tantôt celle d’un sellier. Ces deux représentations de mots luttent pour dominer ( « Wetistreit » ) notre savoir actif. Cette lutte et le fait qu’aucune des liaisons ne nous satisfait, constituent l’essence du doute. Certes, toutes les règles de la logique ne peuvent le faire cesser, mais si je découvre à l’objet auquel mon doute se rapporte de nouveaux signes caractéristiques, qui pèsent d’une manière décisive pour l’une des complexités possibles, le doute cesse sans que nous ayons recours à la logique.

Notre conscience renferme des complexités entières ; dans le discours il nous faut les décomposer. Si un zoologiste décrit un papillon dont il a la représentation, il lui faut la décomposer, trouver les mots propres à désigner chacune des parties et grouper ces mots selon les règles de la grammaire. L’exposition verbale ne nous communique donc le contenu de notre conscience que fractionnellement (p. 14). La logique comme discipline, dit l’auteur, ne s’est occupée que des résultats de cette décomposition orale de la représentation. Que nous possédions des complexités entières, c’est ce que les logiciens de profession n’ont pas remarqué. Si ma liaison des représentations aux mots est juste et revient, le cas échéant, à mon savoir