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revue générale. — b. perez. Les théories de l’éducation.

pas aux matérialistes, mais aux spiritualistes, aux libertistes, aux défenseurs du Liberum arbitrium indifferentiæ (que je n’ai pas qualité pour défendre), quand il les met hors la science, et leur interdit Le droit de songer à une théorie de l’éducation. Est-il bien sûr lui-même que son principe efficient et son principe final, comme il les présente, soient acceptables pour les uns et pour les autres ? Ne serait-il pas possible, en revanche, de leur trouver un terrain commun dans les données d’une psychologie, d’une morale et d’une sociologie relativement scientifiques, et relativement dégagées d’abstraction métaphysiques ? Par exemple, une définition des fins de l’éducation analogue à celle de M. Joly ne pourrait-elle pas, avec le principe instrumental de l’autodidaxie, servir de trait d’union entre les deux parties ? Que pense encore M. Siciliani de la définition suivante, pour laquelle je ne réclame d’ailleurs pas des droits d’auteur ? « L’éducation à pour objet et pour fin le développement dans l’individu de toutes les facultés et aptitudes servant à la conservation et au développement de l’espèce et de la race comme de l’individu lui-même. » Il me répondra que tout cela est impliqué dans son principe final. Mais ne puis-je pas affirmer à mon tour que son principe final n’est qu’une fin secondaire, la liberté résultant du développement qui est fatal et passif à tant d’égards ? » Je voudrais enfin demander à M. Siciliani s’il a bien le droit d’affirmer que l’éducation ne crée rien en tant que didactique, mais crée quelque chose en tant qu’auto-didactique. Imposée ou spontanée, l’éducation crée toujours quelque chose de nouveau. Le fait seul du déplacement d’un être dans l’espace ou du déplacement d’un seul être par rapport à lui, constitue des situations, des influences, des modifications nouvelles, imprévues, créant quelque chose dans la nature individuelle, et altérant la série héréditaire. Toujours il se produit, au moyen de l’hérédité, quelque chose d’autre que l’hérédité[1].

En somme, toutes les critiques qu’appelle une œuvre mûrie et systématique comme celle de M. Siciliani, ne feront qu’en accentuer davantage le caractère scientifique et la haute portée pédagogique et morale. Il y circule partout un souffle de libéralisme sain et réconfortant. Solidement pensée, méthodiquement agencée (peut-être avec un trop grand luxe de distinctions et de subdivisions), écrite d’un style naturel et aisé, presque à la française, elle offre aux savants comme aux demi-ignorants une lecture attachante et instructive. Elle fera son chemin dans le monde pédagogique, à côté des Apuntes de M. le Dr A. Berra [2].

Bernard Perez.

  1. Cette vérité, féconde en déductions pédagogiques, a été positivement démontrée par M. G. Pouchet dans le très intéressant et trop bienveillant article qu’il a bien voulu consacrer à mon Jacotot, dans le Siècle du 3 février dernier.
  2. Apuntes para un curso de pedagogía, in-8o, 700 p. Montevideo, 1883. J’ai rendu compte de ce précieux ouvrage dans cette Revue, novembre 1883, et je suis heureux d’annoncer que l’auteur en publiera bientôt une édition abrégée, l’une en espagnol, et l’autre en français.