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revue générale. — b. perez. Les théories de l’éducation.

beaucoup frappé, sans me convaincre, et je confesse que si Rousseau me paraît toujours avoir grandement raison, M. Joly ne me paraît pas avoir tout à fait tort. Du reste, et Pestalozzi pensait à peu près de même, est-il besoin, comme le dit M. Joly, que l’enfant un peu âgé, l’adolescent même, voie toutes les intentions d’un auteur, qu’il perçoive et qu’il classe toutes les raisons des faits, en un mot que, dès les bancs de l’école, sa raison à lui soit analytique et réfléchie ? « Le travail de la réflexion ne saurait être d’ailleurs qu’un second travail supposant avant lui un travail d’acquisition, non pas inconscient et machinal, mais sans délibération et sans calcul[1]. » Je suis, quant à moi, toujours convaincu de la possibilité et de l’utilité d’un enseignement réfléchi dans ses plus larges directions, dans ses procédés les plus généraux[2] ; mais je ne le crois pas inconciliable avec une part peut-être beaucoup plus grande qu’on ne pense aux exigences de l’inconscient. Le rôle de l’inconscient dans le travail mental et affectif des enfants formera deux intéressants chapitres de la psychologie et de la pédagogie première.

J’aurais encore beaucoup à dire, discutant ou approuvant, sur chacun des articles consacrés à l’éducation intellectuelle et morale, notamment sur la façon dont M. Joly entend l’ordre et la répartition des matières d’enseignement, la culture littéraire et la culture scientifique, la volonté et la liberté dans l’enfant, la discipline, et enfin sur le dernier chapitre contenant des notions d’histoire de la pédagogie dans ses rapports avec les grandes conceptions morales et philosophiques. Mais cet article est déjà bien long, et un autre pédagogue appelle mon attention, un étranger qui m’en voudrait de ne pas lui accorder ici une hospitalité généreuse, J’en ai d’ailleurs dit assez pour montrer que le livre de M. Joly occupera une place distinguée dans notre littérature pédagogique et rendra de grands services à l’éducation de nos maîtres et de notre jeunesse.

M. Siciliani m’a dédié, ainsi qu’à M. Berra, son nouveau livre[3] : double honneur auquel je suis très sensible, mais que je crois immérité. Il appelle sur ce livre ma justice sévère. Je n’ai pas l’habitude et le droit d’être sévère ; et quand je l’ai été, j’ai toujours craint de n’avoir pas été juste. M. Siciliani sera satisfait en ce point, et peut-être au delà de ses souhaits, par ces bénins orthodoxes dont il fait joyeusement défiler toute une armée grotesque dans sa préface. Ce débordement d’injures ne prouve qu’une chose, c’est l’effet que produisent les idées pédagogiques de l’auteur, et surtout ses idées philosophiques, dans un pays aussi antiphilosophique que l’est aujourd’hui, nous dit-on, l’Italie. Son livre arrivé en si peu de temps à sa troisième édition fait lui-même son éloge.

Pour M. Siciliani, la science pédagogique, dans sa complexe unité, se compose de trois parties essentielles : la pédagogie historique, la pé-

  1. Notions de pédagogie, p. 110.
  2. Voyez mon livre sur Jacotot, p. 67-76,
  3. La Scienza nell’educazione secondo i principi della sociologia moderna, 3e édit., partie théorique p. 89-498, Zanichelli, Bologne, 1884.