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M. Joly dit fort bien ce que c’est que comprendre, comprendre un mot, une phrase, un fait, une idée, un être, une chose quelconque, ses liaisons, sa tin, etc. Ici peut-être une distinction métaphysique, ou du moins subtile, sur la fin idéale, la forme suprême à laquelle chaque chose tend comme à sa fin désirée. « Toute chose, par un travail incessant, qui est sa vie même, tend à son achèvement, à sa perfection ; et les divers exemplaires d’une même nature se distribuent en des formes inégales, où se laissent voir les résultats variés de cet effort mis aux prises avec les difficultés ou les résistances de son milieu. Or, voulons-nous comprendre un des termes de cette série, sachons à quelle forme définitive ou suprême tend la série tout entière…[1] » Appliquant ce principe à l’art du dessin, M. Joly déclare, avec M. Ravaisson, que « chaque genre doit être étudié dans ce qu’il offre de plus parfait, dans ce qui y occupe le premier rang. C’est en conformité avec l’esprit de cette maxime qu’au lieu de faire commencer l’étude du dessin par l’imitation des objets naturels, on demande aux débutants la reproduction de belles œuvres d’art, où la nature a été comme rectifiée et épurée. On pense avec raison que, mis en face de ces modèles, ils comprennent mieux l’harmonie des formes, la loi de leur construction, le rhythme nécessaire de leurs mouvements. » Je commence par faire remarquer à M. Joly que cette méthode pour enseigner l’art du dessin n’est plus guère en faveur aujourd’hui parmi les gens de pratique. La méthode d’enseignement par le fragment ou par l’ensemble d’une œuvre artistique est sujette aux mêmes critiques, sinon à de plus graves que celle de l’enseignement par les objets naturels[2]. Et d’ailleurs, si l’on voulait débuter par l’imitation d’un modèle d’art, quelle nécessité de prendre pour modèle la représentation idéale d’une forme parfaite en son genre ? Une représentation fidèle ferait l’affaire, comme le pensait Jacotot. N’y a-t-il pas là des formes naturelles, une reproduction vraie, un ensemble harmonieux, des détails proportionnés entre eux, et de plus, des procédés d’imitation à étudier ? Qui saurait bien peindre ou dessiner l’homme de la rue ou reproduire un tableau de Courbet ou de Couture, pourrait laisser en paix sur son socle la Vénus de Milo.

Quelques pages très judicieuses et très pratiques sur le plus ou moins d’opportunité de n’enseigner à l’enfant que des choses qu’il comprend très bien. Le mot comprendre a un sens très élastique. Si, dans une œuvre artistique ou littéraire, le nombre des choses que l’enfant ne comprendra pas sont les plus nombreuses, M. Joly conseille de ne pas les lui faire lire, apprendre, écouter ou regarder. « Mais si, sans pénétrer dans les profondeurs, l’élève peut encore trouver à sa surface de quoi occuper utilement et agréablement son esprit, pourquoi l’en priver ? » Suit, à ce propos, une justification des fables de La Fontaine. Elle m’a

  1. P. 95.
  2. Voir à ce sujet le témoignage d’un homme compétent dans la Revue pédagogique (15 sept. et 15 oct. 1882), Le dessin dans l’enseignement primaire, par M. J. Pillet.