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G. POUCHET. — la biologie aristotélique

l’humide, le dur et le mou (Âme, II, ix, § 2)[1]. Le sens du toucher est en effet le seul qui nous donne des notions irréductibles, comme nous disons aujourd’hui, sur le nombre desquelles les physiologistes ne sont même pas d’accord.

Aristote, et cela se conçoit, est dans un embarras très légitime pour localiser le sens du toucher. A-t-il un organe intérieur ? Est-ce la chair (σάρξ) ? « Les trois premiers sens s’exercent en vertu de mouvements transmis à travers un milieu : c’est au point que le contact de l’objet sensible empêche toute sensation par les yeux, par l’oreille, par le nez. On ne voit, on n’entend pas, on n’odore que l’objet placé à quelque distance de l’organe. Au contraire, le sens du goût et le toucher exigent le contact. Le toucher est le sens du contact par excellence, et pourtant il semble que le contact ne soit pas toujours indispensable. Ne sentons-nous pas aussi bien à travers une membrane — disons pour rendre la pensée d’Aristote plus claire : à travers un gant —, qu’avec la peau nue ? » Et cela est tellement vrai, que si notre main se trouvait, sans que nous le sachions, revêtue d’un gant, nous n’en aurions aucune conscience. C’est ici qu’il est intéressant de voir comment les problèmes qui nous semblent les plus simples à résoudre, ont pu embarrasser à deux mille ans en arrière de nous les plus grands esprits. En réalité le problème n’existe pas puisque le gant se superpose simplement à l’objet, se moule sur lui et ne fait que reproduire au contact de la peau les particularités de la surface où il s’applique. Pour Aristote, désireux d’unifier la théorie des sens, ce gant, cette enveloppe dont la peau est recouverte, devient un milieu transmettant l’activité du corps extérieur comme le fait l’air pour les sens médiats. Et sur cette pente il ne s’arrête plus : la peau du corps ne doit-elle pas, elle aussi, être regardée comme une sorte de milieu transmettant la sensation tactile ? « D’une manière générale, dit-il, ce que l’air et l’eau sont pour la vue, pour l’ouïe et pour l’odorat, la chair et la langue semblent l’être pour le toucher, elles se comportent envers lui comme chacun de ces éléments, l’air et l’eau, se comportent envers les autres organes » (Âme, II, xi, § 9). C’est donc profondément à l’intérieur de nous-même qu’est placé l’organe qui sent l’objet tangible (Ibid.). Et cet organe est sans doute la chair.

G. Pouchet.
(À suivre.)

  1. Nous avons déjà fait connaître le remarquable passage de la Météorologie (IV, iv) sur le sens du toucher comme mesure de la dureté des corps.