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des poissons (Sens, V, § 2). Les insectes ont également l’odorat, bien qu’il soit difficile de comprendre comment des animaux qui ne respirent pas peuvent sentir (Sens, V, 13). Mais il n’y a aucun doute à cet égard. Nous avons rapporté plus haut des exemples qui le démontrent. Pythagore professait, dit Aristote, que certains animaux se nourrissent seulement d’odeurs, on connaît au contraire des odeurs nuisibles : celle du charbon appesantit et fait mourir l’homme, celle du soufre et des corps résineux tels que l’asphalte font fuir et tuent les animaux » (Sens, V, § 15)[1].

Le goût. — Aristote n’a pu méconnaître une certaine corrélation entre l’odorat et le goût (Sens, V, § 2). Cependant — et nous avons dit plus haut pour quelles raisons — il classe celui-ci à côté du toucher, ces deux sens étant les seuls qui exigent le contact des objets extérieurs. Le sens du goût est en rapport avec l’opposition « doux » et « amer », comme la vue avec l’opposition noir et blanc. Il faut entendre par là que de même que toutes les couleurs résultent d’une proportion variée de noir et de blanc, de même toutes les saveurs ont pour origine une proportion variée de doux et d’amer ; et dans l’un et l’autre cas on reconnaît 7 degrés comme pour les sons. On prouve cette origine des saveurs par l’incinération des substances sapides ; donnant ces cendres amères (— alcalines), on en concluait que ce principe amer était masqué dans la substance par une surabondance de principe doux que le feu avait éliminé. On était au reste fort partagé sur tout cela. Certains physiologues voyant les fruits mûrir grâce à l’eau qu’ils puisent dans la terre, regardaient celle-ci comme le principe de toute saveur ; d’autres voyant le fruit, (les figues, les raisins) se charger de sucre quand on les fait sécher au soleil, attribuaient à la chaleur, le rôle important dans la production des saveurs. Ces détails toutefois appartiennent plutôt à la physique qu’à la physiologie aristotélique où la connaissance du goût était proportionnellement tout aussi peu avancée que de nos jours.

Le toucher. — Aristote saisit très bien la grande différence qui sépare le toucher des autres sens. Tandis que ceux-ci ne nous donnent que la notion d’oppositions d’un seul genre, même l’ouïe — car on peut rapporter au bas et au haut d’autres contraires comme le fort et le faible, le rude et le doux dans la voix — seul des quatre sens, le toucher a cette supériorité de nous faire apprécier directement plusieurs genres de contraires : le chaud et le froid, le sec et

  1. Les mêmes indications sont données en termes à peu près identiques au traité De l’Âme (II, ix, 5-6). Voy., pour les exemples rapportés ci-dessus, Histoire des animaux (IV, viii, 21).