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elles le sont moins, ils sont bleus, pour les mêmes raisons que la mer est bleu verdâtre (γλαυκός) quand il y a peu d’eau (comme sur les rives), et paraît au contraire noire ou bleue foncée μέλαν καὶ κυανοειδὲς) sur les grands fonds (Gen., V, 15). Les yeux des enfants sont bleus parce qu’ils sont peu profonds (Gen., V, 25). Toujours en vertu des mêmes motifs, les yeux bleus voient moins bien de jour et les yeux noirs de nuit (Gen., V), parce que les yeux bleus étant moins profonds sont trop fortement excités par l’abondante lumière, et que les noirs sont trop profonds pour être traversés par les faibles lueurs de la nuit (Gen., V, 18). La meilleure vue sera donc celle où les humeurs de l’œil ne sont ni trop rares ni trop abondantes (Gen., V, 20). » Les qualités de vue faible ou bonne (ἀμϐλύς — ὀξύς), qu’il faut bien distinguer des qualités de finesse et d’étendue dont il a été parlé plus haut, dépendent pour Aristote de l’état de la membrane de la pupille (κόρη)[1]. Elle doit être mince, claire et lisse. Mince pour être plus facilement traversée par le mouvement propagé, du dehors ; claire ou hyaline (λευκός) pour que ce mouvement ne soit pas arrêté ; lisse enfin parce que des plis la rendraient chatoyante. Chez le vieillard, la vue baisse parce que la membrane de l’œil comme les autres se plisse et devient plus épaisse. Enfin il existerait un certain rapport entre l’aibinisme de l’iris qui fait les yeux vairons et la canitie amenée par l’âge. L’homme seul et le cheval peuvent être vairons (Gen., V, 13), parce que seuls ils grisonnent (Gen., V, 22). Ceci est une erreur, et les chiens en particulier offrent fort souvent la même difformité[2]. « On a au surplus les yeux bleus par la même raison que les cheveux blanchissent, par suite d’une coction incomplète des humeurs de l’encéphale auquel les yeux sont reliés comme on sait ; les yeux vairons résultent d’une coction inégale à droite et à gauche (Gen., V, 23). »

L’ouïe. — « De même que la vue, malgré ses deux modes, nous fait surtout percevoir les différences de couleur entre les objets, de même l’ouïe nous fait principalement connaître les différences dans les sons. Ceux qui sont aigus proviennent d’un mouvement intime

  1. Que faut-il entendre par cette membrane de la pupille κόρη ? S’agit-il de la cornée ou du cristallin ? Les altérations séniles dont il est ici question peuvent être soit des taies, soit des cataractes. D’autres indications pathologiques données en même temps ne sont pas plus claires : « le glaucome affecte davantage les yeux bleus, la nyctalopie les noirs. Le glaucome est une sécheresse ; c’est pour cela qu’il frappe surtout les vieillards à l’âge où le corps se dessèche (Gen., V, 19), la nyctalopie au contraire se montre surtout dans le jeune âge au moment où l’encéphale est plus humide (Gen., V, 20, c’est-à-dire sans doute plus mou, plus diffluent. »)
  2. « Vairon » se dit des hommes et des chevaux, d’après le Dict. de Littré. Mais Littré semble l’entendre seulement des individus âgés représentant au pourtour de la cornée. Il est question, dans le passage que nous citons, de la décoloration d’un des iris.