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G. POUCHET. — la biologie aristotélique

sensations qui suivent la fixation du soleil ou d’un objet brillant[1], semble, malgré l’obscurité du texte, nous donner une première notion, quoique bien incomplète, des contrastes successifs et des images consécutives. Nous pouvons ajouter le déplacement apparent des objets immobiles quand on a longtemps fixé un corps en mouvement[2] dont notre philosophe s’occupe aussi.

Un passage ayant trait à un autre phénomène rétinien doit encore être noté. Si nous imaginons un homme placé dans l’obscurité la plus absolue, il aura, en ouvrant les yeux, sentiment que les ténèbres existent devant lui, il tournera la tête pour s’assurer qu’il en est entouré. C’est qu’en effet tout ce qui est en dehors du champ visuel n’est pour nous ni lumière ni obscurité, n’existe pas pour nous. Nous voyons donc en quelque sorte l’obscurité, nous la voyons dans notre champ visuel. Il est assez curieux de retrouver déjà formulée par Aristote cette donnée d’une physiologie presque subtile : « Les ténèbres sont invisibles et c’est cependant la vue qui les distingue » (Âme, II, x, § 3).

Ce qui nous reste à dire de l’œil a trait à son anatomie et offre beaucoup moins d’intérêt. Nous l’empruntons d’ailleurs à la fin du traité De la Genèse.

« À la naissance, tous les enfants ont les yeux bleus (Genèse, V, 13), en raison d’une sorte d’affaiblissement (Genèse, V, 13). » On verra plus loin ce qu’il faut entendre par là. « Cette nuance spéciale des yeux à la naissance et que l’âge modifie, est beaucoup moins marquée chez les animaux. Chaque espèce a généralement les yeux de la même couleur, les bœufs les ont foncés (μελανόφθαλμοι), les moutons les ont pâles (ὑδαρὲς), chez les autres animaux, ils sont plus ou moins bleus (χαροπός). Les couleurs de l’œil de l’homme sont les suivantes : γλαυκοὶ, χαροποὶ, μελανόφθαλμοι, αἰγωποί. » Il est assez difficile de traduire exactement ces termes, en particulier, cette dernière expression d’yeux de bouc : ce sont probablement les yeux roux. « La couleur des yeux dépend de l’abondance ou plutôt de la profondeur de leurs humeurs. Quand elles sont profondes, les yeux sont foncés, quand

  1. « De même si nous arrêtons trop longtemps notre vue sur une seule couleur soit blanche, soit jaune, nous la revoyons ensuite sur tous les objets où, pour changer, nous portons nos regards, et si nous avons dû cligner les yeux en regardant le soleil ou telle autre chose trop brillante, il nous paraît aussitôt, quel que soit l’objet que nous regardions après, que nous le voyons d’abord de cette même couleur, puis ensuite qu’il devient rouge, puis violet, jusqu’à ce qu’il arrive à la couleur noire et qu’il disparaisse à nos yeux. »
  2. « Même le mouvement seul des objets suffit pour causer en nous de tels changements. Ainsi il suffit de regarder quelque temps les eaux d’un fleuve et surtout de ceux qui coulent très rapidement, pour que les autres choses qui sont en repos paraissent se mouvoir (Trad. Barth. St.-Hil., Des Rêves). »