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G. POUCHET. — la biologie aristotélique

comprenant le goût et le toucher, l’autre embrassant les trois sens médiats, était alors des plus légitimes. Nous savons aujourd’hui que la sensation olfactive résulte d’un contact de particules matérielles, absolument comme la sensation gustative, et nous avons rapproché le goût et l’olfaction. Mais pour Aristote l’odeur est encore un mouvement de l’air, il classe donc l’odorat avec les deux sens supérieurs, et par des raisons tout aussi bonnes il réunit le goût au toucher. En premier lieu, comme nous venons de le dire, ils exigent le contact des corps, tandis que les trois autres sens supposent au contraire l’objet sensible à distance. De plus, la langue, avec laquelle nous goûtons, partage les qualités tactiles de la peau, elle apprécie mieux encore que celle-ci le mou et le dur, le doux et le rude, le froid et le chaud. La peau au contraire ne goûte pas, et c’est pour cela qu’Aristote en fait deux sens bien distincts. Le toucher et le goût, essentiels à la vie de l’individu, sont universellement répandus chez les animaux : le toucher pour une série de raisons longuement exposées au traité De l’âme, le goût en vue de l’alimentation (Sens, I, § 8). Tous les animaux doués de mouvement ont en plus l’odorat, l’ouïe et la vue pour assurer leur conservation (Sens, I, § 9), et pour servir l’intelligence chez les êtres qui la possèdent.

Les sens médiats, c’est-à-dire la vue, l’ouïe et l’odorat ont deux modes (Gen., V, § 24-28) ; ils apprécient des différences dans l’objet sensible, ou la distance à laquelle se trouve cet objet. L’œil par exemple sera plus ou moins capable de voir à toute distance, ou capable de distinguer plus ou moins nettement (à la distance normale). On dit dans un cas que la vue est « perçante » et « aiguë » dans l’autre. Ce n’est pas la même chose, et les deux modes ne se trouvent pas toujours réunis chez la même personne. Il faut donc distinguer la finesse du sens et l’étendue du sens. En général l’Homme est moins bien doué sous le rapport de l’étendue de ses sens que de leur finesse. Celle-ci dépend de l’organe lui-même et de la pureté de ses membranes. L’étendue du sens dépend des parties externes qui le protègent. S’abriter les yeux de la main ou se servir d’un tube ne fera pas mieux discerner les couleurs et n’augmentera pas la finesse du sens, mais son étendue : de cette façon on verra mieux au loin, par la même raison qu’on distingue les étoiles du fonds d’un puits[1] (Gen., V, 25). Cette distinction ne doit pas trop nous étonner,

  1. « 1. Si un animal a les yeux fortement abrités, même alors que les humeurs de la pupille ne seraient pas pures et propres à recevoir et transmettre les mouvements (= vibrations lumineuses) du dehors, même alors que la membrane de la surface de l’œil n’aurait pas la minceur voulue, même alors que par suite l’animal ne distinguerait pas bien les couleurs : s’il a les yeux fortement abrités,