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est dans les centres nerveux eux-mêmes, absolument insensibles ? Il est tout naturel que l’homme ait d’abord placé le siège des sentiments violents qui l’agitent, là où il en éprouve les effets, et le Catholicisme a continué en ceci les errements de la science ancienne quand il a institué le culte du Sacré-cœur.

Pour Aristote, le sang dont le cœur est rempli, est insensible. Mais il remarque assez justement à ce propos que toutes les parties sensibles du corps contiennent du sang[1]. Le cœur qui est le premier organe ayant du sang sera donc le premier sensible : le principe de la sensibilité réside là.

La collection aristotélique comprend un ouvrage spécialement consacré à la théorie générale de la sensation : il mérite peu de nous arrêter. Nous ne voulons retenir sur ce point que l’appréciation suivante tirée d’un autre traité et qu’un physiologiste moderne pourrait contresigner : « La sensation consiste à être mû et à éprouver quelque chose, elle paraît être une sorte d’altération que l’être supporte » (Âme, II, v. 4). Nous disons aujourd’hui que la sensation résulte toujours d’un changement d’état ou d’une altération de l’organe sensible : c’est au fond la même pensée en d’autres termes.

Aristote classe les sens en deux catégories, qu’on pourrait appeler « les sens médiats » et « les sens immédiats ». D’une part ceux qui reçoivent des objets extérieurs des mouvements transmis par l’air ; dans cette catégorie se placent les yeux, l’oreille et l’odorat. D’autre part ceux qui exigent le contact même des corps sensibles, comme le toucher et le goût. Ces derniers, les sens immédiats, sont les plus importants au moins pour la vie de l’individu ; aussi sont-ils inhérents en quelque sorte au corps lui-même ou à ses parties, et en rapport direct avec le cœur (Jeunesse, III, 6)[2]. Les autres sens au contraire ont des conduits. Ceux de l’odorat et de l’ouïe donnent passage à l’air atmosphérisque (ἀέρα), et communiquent d’autre part avec les veines allant du cœur au cerveau. La vue est le seul sens qui ait un organe spécial, humide et froid, sécrétion la plus pure des parties qui avoisinent l’encéphale, et en rapports par des conduits (= nerfs optiques) avec les méninges (Gen. II, 97)[3].

Cette classification des sens d’Aristote, ces deux groupes, l’un

  1. La règle posée par Aristote ne souffre que très peu d’exceptions : la cornée, par exemple, très sensible et qui ne reçoit pas de capillaires.
  2. Peut-être par les veines : « Tous les canaux des sens vont au cœur » (Gen. V. 98).
  3. Certains physiologues et peut-être les pythagoriciens (voy. plus haut) avaient déjà placé le principe du sens de la vue dans l’encéphale. Au reste, cette relation de l’œil et de l’encéphale a dû être connue de très bonne heure (voy. Sens, II, 12).