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delbœuf. — origine de la vie et de la mort

aux dépens des qualités dites nutritives de la nourriture. Celle-ci au moment d’entrer en rapport avec la fibre morte, était, peut-on dire, à l’état non saturé ; la saturation a eu lieu et la voilà à son tour frappée d’incapacité pour remplir le même office ; elle n’a plus en elle rien d’attractif, rien de nutritif.

Comme je compte me servir souvent par la suite de ce mot de saturation, et que je le prends dans un sens quelque peu différent de celui qu’on lui donne en chimie, quelques mots d’explication ne seront pas déplacés.

On sait qu’un atome de carbone, par exemple, présente quatre sommets attractifs. Si l’on accole à ces quatre sommets quatre atomes d’hydrogène ou de chlore, ces quatre attractions sont satisfaites, et la molécule résultante est saturée. Elle peut l’être aussi par deux atomes d’oxygène, parce que l’atome d’oxygène présente, lui, deux pôles attirants. Si une ou deux attractions du carbone restent non satisfaites, on dit de la molécule, composée, je suppose, d’un atome de carbone uni soit à trois ou à deux atomes d’hydrogène, soit à un atome d’oxygène, soit autrement encore, qu’elle n’est pas saturée, qu’il lui reste une certaine capacité attractive, une certaine faculté de saturation.

Cette notion, parfaitement claire, je l’étends, non sans la contaminer d’un peu de métaphore, à l’organisme ou à des portions considérables de l’organisme, c’est-à-dire, que le terme de molécule, qui, en soi, signifie petite masse, reçoit sous ma plume un emploi abusif. Je me figure volontiers l’animal qui a faim ou soif, comme une grosse, très grosse molécule, dont certaines affinités ne sont pas satisfaites, et je dis de lui qu’il n’est pas saturé. Après cette parenthèse, je reviens à mon sujet.

En résumé, de la combinaison de la fibre morte avec la substance alimentaire, sont sortis, d’un côté, une nouvelle fibre, d’un autre côté, des résidus plus ou moins inertes.

De quelque manière qu’on se représente le processus, qu’il y ait élimination de la fibre inutile et formation d’une nouvelle fibre tirée de la nourriture, ou qu’une partie de l’ancienne fibre entre dans la composition de la nouvelle, l’opération consiste essentiellement à diviser en deux portions une certaine quantité de matière : une portion capable d’une certaine somme d’activité, une portion dont l’activité est beaucoup moindre.

Or qu’est-ce que cette portion active ? c’est de la matière instable, c’est-à-dire renfermant en elle beaucoup d’affinités non satisfaites, un grand nombre de transformations possibles. Par la satisfaction de