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Dans le système d’Aristote la vie a ses conditions organiques nécessaires. Tout animal possède les mêmes organes essentiels ou du moins leurs équivalents : « le cœur ou ce qui en tient lieu, le sang ou ce qui en tient lieu… » Et de même, les parties qui se correspondent, sont disposées chez tous les animaux dans un ordre identique. Or le principe de l’âme nutritive, de la psyché trophique occupe toujours le milieu du corps, la région du cœur, entre la partie qui prend la nourriture, c’est-à-dire le haut, et la partie qui la rejette, c’est-à-dire le bas. On prouve qu’il en est ainsi par ce fait que certains animaux comme les guêpes, les scolopendres auxquels on a enlevé deux de ces parties — la tête qui prend, l’abdomen qui reçoit la nourriture — continuent de vivre par la partie centrale (le thorax de la guêpe, les anneaux médians de la scolopendre). Si cette partie centrale finit par mourir, c’est qu’elle n’a plus les organes nécessaires à sa nutrition. Et le philosophe ajoute cette pensée, que certains zoologistes de nos jours accueilleront comme une prévision de leurs doctrines : « Les animaux qu’on peut ainsi diviser, doivent-être considérés à peu près comme plusieurs animaux soudés ensemble (De la Jeunesse, II, 9). » Un physiologiste, Dugès, faisant il y a un demi-siècle des expériences dans cette direction, est arrivé à peu près aux mêmes conclusions c’est-à-dire à envisager le corps de l’insecte au point de vue fonctionnel comme formé de plusieurs segments doués chacun d’un certain degré d’individualité. Aristote, chez qui la notion de perfectionnement organique est toujours très vive, ajoute que « les animaux supérieurs ne représentent plus le même phénomène parce que leur nature est une au plus haut degré possible. « Toutefois on peut voir certaines parties qui, même séparées, montrent des restes de sensibilité, parce qu’elles éprouvent encore une sorte d’affection analogue à celle que l’âme (centrale) pourrait percevoir. Ainsi les viscères peuvent être arrachés et l’animal faire encore des mouvements comme les tortues qui remuent même après qu’on leur a enlevé le cœur, c’est-à-dire le principe même et le centre de la vie. Mais aucun animal ainsi mutilé ne se refait, comme la plante où le principe de vie est en quelque sorte disséminé dans tout l’être. »

Aristote croit que le sang se forme d’abord dans le cœur. Dès le troisième jour de l’incubation, il reconnaît cet organe (Des parties, III, 4) à la couleur que lui donne le sang apparu sous sa paroi transparente, et à ses battements[1]. Mais en est-il de même pendant le

  1. Les embryologistes savent aujourd’hui que le sang se forme en réalité hors du corps de l’embryon, d’où il pénètre dans le“cœur, qu’on distingue alors aisément.