Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 18.djvu/543

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
539
G. POUCHET. — la biologie aristotélique

II, 110). Une singulière erreur, basée il est vrai sur des faits exacts mais qui sont particuliers à certains animaux tels que les Rongeurs, est de croire que les dents poussent constamment, sans quoi elles seraient bientôt usées, et quand elles s’usent (= se gâtent ?), c’est que la croissance n’a pas compensé l’usure.

Démocrite avait professé sur les dents de lait une opinion qui est peut-être l’origine du nom qu’on leur donne encore. Il y voyait des dents précoces, sorties avant l’heure de la gencive sous l’influence des mouvements de succion que fait l’animal pour teter (Gen., V, 95). L’auteur aristotélique du second passage sur les dents, au Ve livre du traité De la Genèse, réplique : le Porc tette et cependant n’a pas de dents de lait puisqu’il ne les perd pas ; de même certains carnassiers comme le Lion. D’après lui l’apparition des premières dents avant que le jeune animal en puisse faire usage s’explique par leur destination même. Ne doit il pas être préparé d’avance à prendre une nourriture plus solide ? Si les dents de lait ne faisaient que devancer leur heure, comme le veut Démocrite, la Nature aurait donc manqué à son rôle, elle n’aurait pas fait les choses pour le mieux possible. En outre tout ce qui est violent est contre nature, ce serait donc par une sorte de violence que les dents de lait pousseraient, ce qui est inadmissible. Après ces beaux raisonnements, l’auteur aristotélique convient que si la succion ne fait pas sortir les dents, la chaleur du lait peut y aider, la chaleur étant toujours un agent de croissance (Gen., V, 98). Il montre encore les incisives poussant avant les molaires, parce qu’il faut couper ou déchirer l’aliment avant de le broyer, et aussi parce que le développement est plus vite achevé d’un petit organe que d’un gros (Gen., V, 97). Les incisives sont plus petites parce que l’os de la mâchoire est plus mince vers le menton qu’en arrière, où il laisse, par suite, plus de place à l’aliment. On pourrait, à la vérité, tout aussi bien faire le raisonnement inverse et expliquer la dimension des parties de la mâchoire par le volume des dents qui doivent s’y insérer. C’est le propre des doctrines finalistes de se prêter de la sorte à une foule de combinaison opposées. Mais continuons : les incisives tombent les premières, parce que leur tranchant s’use facilement et que d’autres doivent les remplacer (Gen., V, 99), et aussi parce que la portion de la mâchoire où elles sont insérées est faible ; elles repoussent parce qu’à ce moment l’os de la mâchoire n’a pas achevé sa croissance. Les molaires poussent avec une grande lenteur, la dernière apparaissant vers la vingtième année, parce que l’os retient à ce niveau la nourriture pour son propre développement.