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place qu’il occupe chez nous. Mais pour tous les autres quadrupèdes il se trompe et appelle « genou » leur talon ; par suite il voit chez eux une opposition dans le sens de la flexion des deux membres antérieur et postérieur, tous deux se pliant en dedans[1]. Naturellement il étend la même erreur à l’oiseau qu’il décrit comme ayant les genoux tournés en arrière (Des parties, IV, 12). De là cette autre conséquence que l’oiseau paraît avoir deux cuisses (la cuisse et la jambe), qui montent s’insérer jusqu’au milieu du tronc ; et telle est la raison pour laquelle l’oiseau, tout bipède qu’il est à la manière de l’homme, ne se tient pas droit comme lui. Nous pouvons nous étonner d’erreurs qui semblent aujourd’hui faciles à éviter : elles s’expliquent à la rigueur par ce seul fait qu’on ne savait point alors préparer les squelettes, que personne n’y avait songé.

Dents. — Le IIe livre et le Ve livre du traité De la Genè se partent des dents. Nous avons déjà signalé la valeur scientifique si différente du commencement et de la fin de cet ouvrage. Au IIe livre, Aristote discute la nature des dents, et met du même coup le doigt sur le point délicat de leur histoire (Gen., II, 109). Il reconnaît que ces organes peuvent causer un certain embarras à l’anatomiste, parce que tout en se rapprochant des os, ils ont aussi un rapport manifeste avec les poils, les plumes, tous ces organes que de Blainville rangera, vingt siècles plus tard, sous la dénomination de « phanères. » et où il placera aussi les dents. On sait aujourd’hui que l’émail des dents se forme d’après un mode de développement tout à fait comparable à celui qui donne naissance aux poils, aux piquants, aux plumes et ceci paraît jusqu’à un certain point justifier les vues de Blainville ; mais d’autre part on sait aussi que la substance de la dent elle-même est de l’os, au point que chez les vertébrés inférieurs, elle est souvent en continuité avec le reste du squelette. Dans cette question d’Anatomie générale, certains arguments parlent donc en faveur de Blainville, mais Aristote semble encore plus près de la vérité que l’élève immédiat de Bichat. Il reconnaît aux dents la même structure qu’aux os où elles s’implantent et dont elles partagent toutes les propriétés, tandis que les ongles, les cheveux, les cornes ont, dit-il, plus de ressemblance avec la peau, puisqu’on les voit en prendre la couleur. Cependant, toujours d’après Aristote, les dents diffèrent des os en ce qu’elles n’apparaissent pas comme ceux-ci dès le début de la vie et toutes ensemble ; de plus elles tombent et repoussent, tandis que les os n’offrent rien de pareil. (Gen.,

  1. Cette opposition existe en effet, mais pour les articulations du carpe et du tarse, non pour le coude et le genou toujours un peu cachés sous la peau et qu’Aristote ne semble pas connaître.