Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 18.djvu/533

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
529
L. ARRÉAT. — un athée idéaliste

encore un être animal et passionnel ; si l’idée de justice, introduite dans nos motifs d’agir, peut seule en revanche imprimer aux actes le caractère moral, c’est que seule l’opération logique est capable de fournir une formule générale ; si d’ailleurs l’opération logique nous fournit ici une formule de justice, cela tient à la nature des faits auxquels elle s’applique cette fois, et un rapport abstrait d’égalité, de proportionnalité, se transforme en un rapport de devoir, quand on le transporte dans le domaine des actes moraux. L’idéal enfin représenterait un état où seraient conciliés nos divers motifs d’agir ; et les conflits moraux résultant de l’opposition de ces motifs trouveraient leur solution provisoire dans l’obéissance aux fins positives commandées par la morale pratique. Sur ce terrain, il serait possible de s’accorder ; nos notions d’utilité, d’amour, de justice, y garderaient en effet leur valeur respective, et la recherche du plaisir (le Lustbedarf de notre auteur), répondant à une idée du bonheur tout à fait générale, comporterait l’action originale de ces autres idées, dont chaque philosophe a fait tour à tour la pierre angulaire de sa doctrine. Mais passons vite, j’en ai dit trop ou trop peu.

Telle est donc la situation du Dr Duboc vis-à-vis de Kant. Il se sépare de lui en refusant l’absolu du devoir et l’absolu de la volonté. Il se sépare de Feuerbach, nous l’avons vu plus haut, en refusant de rester muré dans l’en-decà ; de Fechner, en refusant la notion de Dieu ; des chrétiens, en refusant l’immortalité de l’âme. Et cependant, on a vu encore que sa philosophie ne jette pas ses racines dans les phénomènes de l’ordre inorganique, ni dans ceux de l’ordre physiologique ; mais il puise aux profondeurs de la vie psychique, et ce qui le frappe tout d’abord, c’est le besoin moral de notre espèce. On reconnaît ici le tour habituel du génie allemand, et de Feuerbach comme de Kant. Si l’on veut marquer maintenant sa position vis-à-vis de la philosophie scientifique, on conviendra qu’il lui était bien loisible de prendre pour objet de contemplation religieuse l’immensité de Littré ou l’inconnaissable de Herbert Spencer, et quoiqu’il dépasse l’esprit positif en donnant notre propre effort pour un témoin du contenu de cette immensité et du cours éternel des choses, il n’a pas cédé du moins à la tentation de matérialiser son idéal et de bâtir dans cet inconnu qui n’a plus figure pour notre imagination.

Il y a quelques années, en un premier livre où j’ai essayé de retracer, d’une main malhabile, les crises de ma propre éducation intellectuelle, j’écrivais ceci, que je ne veux pas désavouer aujourd’hui : « Il n’est pas bon de se désintéresser de la vie, il n’est pas bon non plus de déserter la contemplation de tout l’infini qui nous dépasse. » Le Dr Duboc fait un pas plus avant, et ce pas est une