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L. ARRÉAT. — un athée idéaliste

tique, et cela m’amènera à marquer la place du Dr Duboc vis-à-vis de quelques philosophes, et de Kant en particulier.

En somme, l’affirmation de l’auteur est pleine de réserve. Il ne s’est pas laissé entraîner à la suite de Fechner, et il inclinerait seulement à croire, avec l’illustre psycho-physicien (voir une curieuse lettre de Fechner à l’auteur, jointe en appendice au volume), que la diminution constante du mouvement dans le monde au profit de la chaleur n’arrêterait point le progrès et favoriserait au contraire, plutôt qu’elle n’empêcherait, la délicatesse de construction des êtres. Mais il envisage résolument le fait brutal de la non valeur de l’individu dans le procès du monde, cette pierre d’achoppement que Fechner essaye en vain de lever en limitant la tonte puissance de Dieu pour concilier sa bonté avec notre misère, cette dissonance que le poète Rückert ne peut éteindre en s’élevant à une hauteur où toutes les dissonances se fondraient en une harmonie ; et cette franche acceptation de l’anéantissement de la personne à attiré sur son livre un assez méchant mot d’un critique allemand, qui n’y veut voir qu’un « timide piaulement de l’optimisme ». Cette pensée de la perte du moi est capable en effet de tuer en nous ce sentiment religieux que l’auteur s’est proposé justement de restaurer avec sa doctrine, et, contre cette pensée accablante, il ouvre maintenant à l’homme dans le sentiment esthétique son dernier refuge. L’individu ainsi livré en sacrifice lui criera peut-être : Optimisme au-delà, et pessimisme en-deçà ! Celui-là pourtant qui se résigne à la perte du moi, qui sait renoncer à son individualité pour rentrer avec ses éléments dans le torrent de la vie universelle, ne pourra-t-il pas dire à sa dernière heure, à l’exemple du chrétien des temps héroïques : Mort, où est ton aiguillon ?

Tel est l’aspect pratique de l’optimisme, au point de vue esthétique. Quelle profane poésie, écrit l’auteur, donnerait à la pauvre femme nécessiteuse et chargée de famille qui est à mon service, l’émotion religieuse où la jette le beau choral que chaque jour je joue à mon piano ? Au point de vue de l’éthique, le profit de l’optimisme sera de porter la sphère du droit dans la sphère de l’idéal, c’est-à-dire d’appeler l’idée du beau pour réchauffer l’individu, dans les cas où l’accomplissement du devoir comporte pour lui une perte sans compensation, si bien que le sentiment de la laideur domine enfin dans le remords et s’attache à qui déchoit de son idéal. Pour l’optimiste il n’est plus d’acte indifférent ; aux motifs vulgaires de plaisir ou d’utilité, la considération d’un mal du monde, que chaque bonne action adoucit ou repousse, vient ajouter un plus haut motif.

Nous touchons ici à la morale de l’auteur et à ses rapports avec le