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L. ARRÉAT. — un athée idéaliste

« …… la mort, ouvrant son aile immense,
Engloutisse à jamais dans l’éternel silence
L’éternelle douleur ! »

Je prie les lecteurs les plus ennemis de toute poésie en ces matières de vouloir bien prêter à l’auteur attention jusqu’au bout. Il ne les égarera pas dans le rêve autant qu’ils pourraient le craindre.

III

L’art, la religion et la philosophie peuvent prétendre chacune au gouvernement des âmes. Le malheur est que l’idéal sort de la réalité, que la croyance usurpe la place de la vérité et que la pure dialectique manque de chaleur. Il nous faudrait réunir ces trois forces et asseoir le sentiment religieux sur le solide terrain de la connaissance philosophique. Le Dr Duboc, nous le savons déjà, estime qu’une conception du monde, pour valoir dans la pratique, doit avoir prise, non pas sur l’intelligence seule, mais encore sur le caractère émotionnel de l’homme. Un des traits les plus marqués de notre époque, c’est de vivre dans l’en-deçà ; l’au-delà n’en demeure pas moins devant notre pensée, et notre étude exclusive des actualités nous aveugle seulement sur ce grand fait de l’invisible, qui est une actualité aussi. Quelque chose est devant nous, qui signifie pour notre sentiment autant que pour notre raison. L’auteur s’est déclaré athée, et il se déclare à présent idéaliste.

Notre conscience de l’au-delà a été fortement ébranlée, et les représentations de Dieu et de l’immortalité de l’âme, qui en furent le contenu dans le passé, sont sur le point de disparaître. On dédaigne trop de les remplacer. De là, dans le domaine du sentiment, cet état de sobriété prosaïque, de grossièreté qui est le nôtre ; et si la poésie de la jeunesse, de l’amour et de la nature nous reste, cette poésie est fugitive et n’a pas la puissance de nous émouvoir aussi profondément que le peut faire le contact avec l’immensité mystérieuse. De là encore, dans le domaine intellectuel, cette irritation, contre les rêveries du spiritisme, des mêmes savants qui ont ouvert la porte de leur laboratoire au fameux Bathybius, dont l’existence s’est depuis évanouie ; on ne veut pas des apparitions qui troubleraient notre quiétude, et cependant, « à ceux qui se flattent d’avoir tout compris et jettent hors de leur chemin le non-compris comme étant non-compréhensible, on ne peut assez sévèrement opposer que