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vahissant. En vain un déisme a voulu se faire place, qui conservait l’idée de Dieu en la dépouillant de son contenu réel (en Allemagne Fichte, Spir, Seydel) ; ce Dieu inactif n’a contenté personne, et il nous faut résolument envisager aujourd’hui les conséquences de l’athéisme dans la pratique de la vie.

Est-ce que le sentiment religieux ne serait pas compatible avec l’athéisme ? Tel n’est pas l’avis du Dr Duboc ; il n’entend pas dépouiller l’homme de ce sentiment, et tout d’abord il le réserve, il le retire, précieuse cassette où est un trésor, de dessous les voûtes branlantes du temple. L’athéisme ne tarit point les source de la religiosité, il ne nous fait pas aveugles devant la beauté du monde, irrespectueux devant le mystère de l’univers. Et ce que le chrétien mourant dit à son dieu, le naturaliste peut le dire à la nature, soutien de toute existence : « Entre tes mains nous remettons notre esprit, »

Mais à la croyance en Dieu est associée la croyance en l’immortalité personnelle, et celle-ci a une signification morale qu’il importe de réduire à sa juste valeur. Le chrétien ne garde aucune supériorité sur le non-croyant, dès que ce dernier (et rien ne s’oppose à ce qu’il ait moralement cette conscience) se reconnaît, en présence du tout, pour un éternel débiteur, et qu’il se résout à payer son bonheur, comme on fait dans les circonstances ordinaires de la vie à l’égard des accidents qui accompagnent la jouissance. Le chrétien se console de l’inévitable en portant ses regards vers un monde futur ; encore la paix intérieure lui vient plus souvent des formes du culte que de la croyance même. Combien plus digne est l’homme qui accepte franchement les conditions positives de la vie ! La dignité consiste, pour l’individu, à connaître ce qui convient à sa position, et à faire le nécessaire pour obtenir et conserver ce qui lui est dû. Elle manque donc au chrétien, puisqu’il aspire à sortir de la condition humaine ; et inversement elle manque (remarquez ce passage) à qui borne son attention aux choses de notre petite terre et ne s’élève pas à l’idée de l’existence cosmique. Cette croyance en l’immortalité, que l’homme s’accorde à l’exception des autres êtres créés, est moralement choquante et non moins absurde que la prétention d’un pontife à l’infaillibilité.

Est-ce à dire, avec Strauss, que : le croyant est un égoïste ? Il ne serait un parfait égoïste que si la considération d’un bien à venir était son unique motif ; et du reste, que la récompense soit ici-bas ou ailleurs, cela ne change rien à la chose. Non, il est homme et cherche son bonheur, et le sentiment religieux ennoblit au contraire le croyant, parce que son dieu est pour lui un ami, et que la