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L. ARRÉAT. — un athée idéaliste

Qu’un homme d’honneur déserte son drapeau et commette quelque infamie pour satisfaire son amour, c’est un cas, dit l’auteur, qu’il faut écarter ; la passion a paralysé ici la conscience, et elle n’est pas le véritable amour, elle ne souffre aucun idéal auprès du sien. Mais vraiment n’est-il pas à craindre que la franchise octroyée à l’amour ne profite à la passion, et n’est-ce pas ce qui arrive le plus souvent dans la littérature romantique de l’amour ; dans les romans de George Sand, par exemple ?

Chose du reste bien remarquable ! Le droit de l’amour s’offre toujours à nous sous la même figure, et l’amour est une force constante, une passion simple. Le droit moral, en revanche, se développe et se modifie à travers le temps, et voyez ! ce n’est déjà plus Roland qui bouderait sous sa tente et compromettrait le salut de toute l’armée, comme fait Achille, pour la cause de Briséis, et son amitié pour Wallenstein ne retient pas Max de servir son empereur, comme son amitié pour le colérique Achille empêche Patrocle de prêter aide aux Achéens. Ne sommes-nous pas, sur cela, autorisés à dire que les conflits moraux sont les crises de la formation du droit, et que notre idéal moral se construit à mesure, au prix d’expériences douloureuses, jusqu’à embrasser sous sa règle tous les devoirs de la vie humaine, quoique d’ailleurs nos divers motifs d’agir ne soient pas conciliables entre eux à chaque moment ?

Mais le Dr Duboc s’est à peu près interdit, je le répète, de considérer, soit le procès physiologique, soit le procès historique de l’amour. Du moins, il reste toujours observateur judicieux, son livre est très attachant, et j’en aurais cité plus d’une page piquante, digne de Balzac, si je ne devais me hâter vers le but, qui est d’exposer sa conception de l’optimisme. Nous y toucherons déjà en analysant son second grand ouvrage, La vie sans Dieu, qui est une sorte de travail de déblaiement.

II

Il n’y a pas à s’inquiéter, en effet, d’une conception nouvelle du monde, tant que l’ancienne foi est en vigueur et suffit. Mais c’est un fait indéniable que la conception religieuse, telle qu’elle avait trouvé dans le symbole chrétien sa plus complète expression, a perdu presque toute sa force, et que l’athéisme devient à chaque jour plus en-

    cal. Je prends la liberté de renvoyer le lecteur, pour l’étude des conflits moraux, au chapitre IV de mon livre récemment publié : La morale dans le drame, l’épopée et le roman. Alcan, 1884.