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pose — on est tenté d’ajouter : pour son malheur — de substances dont l’oxygène est avide, d’où, pour lui, nécessité de réparer sans relâche une demeure qui s’écroule de toutes parts sans trêve ni répit. Il est comme un foyer dont les parois auraient été, avec une imprévoyance insigne, fabriquées de charbon, de sorte qu’il se consume lui-même, et que tous ses soins doivent tendre à reconstruire par le dehors un édifice qui se détruit par le dedans. L’oxygène est un ennemi ravisseur qui pénètre en troupe à chaque instant dans la place et s’en revient chaque fois chargé de butin. Sur quatre pillards, il y a toujours un qui réussit à enlever une proie, c’est-à-dire une molécule de charbon. L’organisme, lui, souffre naturellement de ces déprédations incessantes dont il est la victime et — l’exemple est contagieux — il se fait brigand à son tour, et récupère de droite et de gauche par rapine ce qu’on lui enlève. Quant aux plantes, elles remplissent ici-bas le rôle de la justice, et font rendre gorge à l’auteur de tous ces méfaits.

C’est parce que l’oxygène se montre sous cet aspect peu flatteur que l’on se refuse à le regarder comme un aliment, puisque c’est lui au contraire qui est cause que l’on doit se nourrir. D’ailleurs, voyez ses allures. A peine entré en nous, il s’en échappe aussitôt, comme si, en prolongeant son séjour, il risquait de se compromettre. Il se hâte, en croupe sur les globules du sang, de fouiller toutes les pièces de la demeure, d’y prendre ce qu’il trouve à sa portée, et de se sauver par le même chemin qu’il est venu.

Tel est, dans sa forme fantaisiste, le drame qui se joue, à chaque instant de leur existence, dans le corps des animaux.

D’un certain point de vue, c’est exact. À l’état adulte certainement, l’organisme animal ne peut subsister sans se consumer, et encore y a-t-il bien des restrictions à faire. La léthargie, la catalepsie, l’hypnotisme, l’hystérie, et surtout le sommeil étrange de certains fakirs indiens, qui se prolonge pendant des semaines et des mois en arrêtant presque tous les mouvements vitaux, tous ces phénomènes prouvent que l’homme lui-même, cette machine si compliquée et si délicate, peut suspendre sa vie et la reprendre, en passant par un état analogue à l’enkystement des animaux inférieurs. Mais ce pouvoir a des limites. Il aurait beau se condamner au repos le plus absolu, éviter toutes les causes de destruction, il se désagrégerait malgré lui, si peu que ce soit. C’est le fer qui se rouille, la pierre qui se ronge, le glacier qui se fond, la roche qui s’effrite.

Mais voici les inexactitudes. D’abord cette usure même est nécessaire à la vie. Si vous essayez de soustraire absolument l’organisme à ces mêmes agents qu’on dit le détruire, vous le tuez. Sans