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L. ARRÉAT. — un athée idéaliste

des perles poétiques sur son rivage ? Celui-ci n’aime pas davantage.

Ces deux états extrêmes du don Juanisme se font-ils, objecterais-je, exactement contre-poids ? Le don Juan de la spiritualité ne fond-il pas un peu sous notre analyse, tandis que celui de la sensualité reste parfaitement vivant et saisissable ? Pouvons-nous voir autre chose, dans cet amour qui se fait de ses victimes un marche pied vers l’idéal, que la même recherche du plaisir devenue seulement plus exigeante, parce qu’elle veut trouver dans son objet plus de qualités ? La formation de l’idéal, en ses traits intimes, n’est-elle pas affaire d’affinement chez l’amant, comme c’est affaire de goût, selon l’individu et la race, si l’on préfère une tresse d’or à une tresse d’ébène ? Et, par ce chemin, ne serions-nous pas ramenés à reconnaître dans l’appétition sexuelle le vrai fonds constant de l’amour et à tenir pour ses conditions variables les sentiments qui concourent à former l’idéal du plaire ? Le Dr Duboc a pourtant raison encore, en ce sens qu’il nous arrive de désirer passionnément une femme que nous jugeons ne pas répondre à notre idéal, et que le désir est aussi vif et l’amour plus noble, quand la personne semble capable de le réaliser tout à fait. Mais il a eu tort de négliger l’étude des sentiments qui ont pu modifier la figure de l’idéal et faire éducation de l’amour pour le mettre au point où il est. Les poètes, qu’il se plaît à citer, lui eussent fourni bien des exemples propres à éclairer cet aspect si intéressant de son sujet.

Poursuivons et venons à l’examen des rapports éthiques de l’amour. On a deviné déjà que l’eudémonisme est le fondement de la morale de l’auteur. Mais comment le devoir s’accommodera : t-il avec l’amour, si l’amour prétend jamais à être le plus grand bien ? Lorsque l’homme se laisse chasser du sanctuaire moral, nous dit le Dr Duboc, c’est toujours par faiblesse morale qu’il déchoit. Faudra-t-il dire, quand l’amour conduit à violer le devoir, que c’est encore faiblesse morale et qu’il y a tache ? Notre idéal moral doit être satisfait, mais cela n’arrive pas toujours sans douleur, et la paix n’est pas le bien ; c’est une harmonie où domine une seule note. L’amour n’est pas une moindre puissance ; que dis-je ? il se fait aussi un sanctuaire qui est égal en valeur à celui du devoir, et il entraîne à la fois l’âme et les sens de l’homme, il est « une harmonie de l’accord où chaque note résonne. » Son idéal exige donc, comme l’autre, d’être satisfait, et quand il y aura conflit, quand des obstacles naissant du devoir moral s’opposeront à la réalisation de l’amour, il n’y aura pas, entre ces deux puissances également fortes, de compromis possible qui n’entraîne une chute ou une profanation. L’amant qui se donne la mort, en un tel cas, prouve sa fidélité à l’idéal moral, puisqu’il renonce à