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eût pas été respirable cinquante ans auparavant. Mais ne livrons pas déjà la pensée du philosophe sans dire de l’homme quelques mots. Toute personnalité, et la moins retentissante, mérite d’être étudiée de près, et le critique trouve aussi plus de plaisir à le faire, lorsque l’écrivain a gagné dès l’abord sa sympathie.

Le Dr Duboc est d’origine française par son père, né au Havre, puis établi à Hamburg, mais Allemand par sa mère, qui resta seule à diriger sa première éducation ; le père était mort, en 1829, avant la naissance de son fils. Il ne reçut donc à peu près rien de la tradition française, sinon peut-être, m’écrit-il lui-même, la recherche de la précision et la défiance de ces vastes esquisses trop préférées des penseurs d’outre-Rhin : à quoi il convient d’ajouter le goût d’écrire avec élégance, avec finesse. M. Duboc le père avait été en relation intime avec ce professeur Reinhold, alors à Kiel, qui entreprit de réformer le langage de la métaphysique, et il laissait du moins à son fils l’exemple de philosopher, ayant publié en notre langue, peu de temps avant sa mort, un ouvrage qui porte ce titre significatif : De la dignité de l’homme et de l’importance de son séjour ici-bas.

Le Dr Duboc achevait ses classes à Francfort, dans le temps où les représentants, en Allemagne, des idées révolutionnaires, qui firent le tour de l’Europe en 1848, essayaient de faire du Parlement de la Confédération, réuni en cette ville, l’instrument de l’unité allemande, unité qui ne put être réalisée alors par la liberté. Il rappelle, en quelques pages émues, les généreuses ardeurs de la jeunesse en ces jours mémorables. Il y gagna lui-même la curiosité des questions politiques et historiques, et il a collaboré, dans la suite, à la rédaction de plusieurs journaux, et notamment de la National Zeitung de Berlin. Cependant un plus puissant attrait l’amenait à la philosophie religieuse et à la psychologie, et ses études universitaires, à Giessen et à Berlin, furent surtout dirigées de ce côté.

La période classique de la philosophie allemande était passée ; les chaires étaient veuves de leurs illustres professeurs, et les doctrines qui avaient régné hier tombaient maintenant en discrédit. La jeune génération se passionnait pour les études de critique religieuse que poursuivaient alors les nouveaux Hégéliens, tels que Bauer, Ruge, Strauss, Feuerbach. De Feuerbach notre Duboc reçut sa première direction, et l’élève devint l’ami du maître par suite d’une parenté de sentiment, qui n’empêcha pas de profondes divergences. Car c’était aussi le temps où le pessimisme gagnait tant de terrain en Allemagne, où Schopenhauer allait trouver des continuateurs tels que Bahnsen et de Hartmann, — le pessimisme, conséquence, selon notre auteur, du matérialisme scientifique, non prévue par Feuer-