Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 18.djvu/515

Cette page n’a pas encore été corrigée


UN ATHÉE IDÉALISTE


JULIUS DUBOC


Un philosophe vivant dans l’entre-temps du dix-huitième au dix-neuvième siècle, en Allemagne, avait grande chance d’être Schleiermacher ; un philosophe né avec le nôtre pouvait déjà être Feuerbach. Que Schleiermacher eût pris plaisir à lire Lucien et Montaigne, et qu’il eût fait une halte dans le scepticisme, il devait arriver un jour ou l’autre, que l’influence d’une femme, seule capable de comprendre certaines de ses pensées, ou l’accointance avec les nouveaux romantiques le placeraient à ce point de vue particulier, où les formes du passé, au moment où elles s’évanouissent, laissent après elles un fantôme gardant encore une manière d’existence, et c’était, chez la plupart des hommes d’alors, une rue qui n’arrivait pas à son terme. Avec Feuerbach, tout à coup enhardi, on prend franchement position dans l’en-decà et l’on réagit avec vigueur contre le nouveau transcendentalisme chrétien. Il s’est fait un changement de front auquel les jeunes gens obéissent. Mais combien d’entre eux, s’ils s’interrogent eux-mêmes au bout du chemin, ne retrouvent-ils pas en leur fond des habitudes d’esprit héritées des romantiques et ne sont-ils pas tout étonnés de porter des fruits que leur premier soleil n’a pas mûris ?

Tel est, autant qu’on peut le dire en termes si généraux, le cas du Dr Duboc, élève et ami, quoique plus tard ami séparé, de Feuerbach. On retrouvera chez lui, avec le goût de la psychologie littéraire, une certaine disposition sentimentale à chercher un élément de grandeur dans la passion et le désir surtout de refaire une existence religieuse à l’humanité ; d’ailleurs, il pense et agit en un milieu où toute religion dogmatique lui est interdite, où son sentiment est tenu en bride ; et, mis en présence de réalités qui exigent qu’on les regarde en face, il prendra la froide résolution de s’accommoder aux faits, d’accepter un monde sans dieu, et de vivre, sauf à en modifier par un grain d’idéalité la composition, dans une atmosphère qui ne lui