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delbœuf. — origine de la vie et de la mort

dépens de quoi et pourquoi l’albumine, la graisse, la fécule, qui ne sont cependant ni muscles, ni nerfs, ni glandes, ni membranes, peuvent former ou réparer des muscles, des nerfs, des glandes, des membranes.

III

Pour comprendre le mode d’action de la nourriture, il est nécessaire de se faire quelque idée générale de ce que c’est qu’un organisme. La définition que je vais donner de l’organisme sera incomplète à bien des égards. J’y ajouterai par la suite des compléments.

Comment conçoit-on d’ordinaire un organisme ? C’est, dit-on, une portion délimitée de matière vivante, ayant une forme déterminée tant interne qu’externe. C’est cette forme à proprement parler qui fait l’individu. Quant à la matière, qui peut être celle-ci ou celle-là, elle se décompose sans cesse dans sa masse, sous l’action des forces extérieures ; ou, si l’on veut fixer la pensée en la particularisant, elle vient continuellement se brûler au contact de l’oxygène. Une fois brûlée, elle ne fait plus partie de l’individu. Il est dès lors indispensable que le déchet soit remplacé, sans quoi l’être se réduirait bientôt à rien. C’est par l’assimilation des aliments que l’usure se répare. Dans cette forme donc entrent sans désemparer des substances empruntées à l’extérieur qui viennent combler les vides. De sorte que l’individu vivant est, comme je viens de le dire, une forme à travers laquelle passe indéfiniment un courant de matière. Dès son entrée dans l’organisme, la matière s’organise, et à sa sortie, elle est de nouveau désorganisée.

Cette manière de concevoir l’organisme est grosse de difficultés. D’abord elle ne s’applique aux plantes qu’avec effort. Ensuite elle fait de l’individualité permanente une véritable énigme. Car deux formes absolument semblables constitueront toujours deux individus différents, dont la permanence subsisterait encore même qu’ils échangeraient la matière dont ils sont composés — en supposant que cela fût possible. Quant à moi, je ne crois pas à ce flux général de la substance individuelle. Mais je remets l’examen critique de ce point à plus tard. Pour le moment, n’ayant à m’occuper que de la nutrition, cette définition me convient, moyennant quelques réserves préalables.

Il n’a pas manqué de physiologistes qui ont dit que la vie est une lutte continuelle contre les agents du dehors qui tendent à la détruire. Aujourd’hui encore, l’opinion dominante est que l’animal se com-