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peuple ancien d’une civilisation bien étrangère à la nôtre, Égyptiens, Spartiates, Hébreux… Est-ce que ces gens-là ne se croyaient pas autonomes comme nous, tout en étant sans le savoir, des automates dont leurs ancêtres, leurs chefs politiques, leurs prophètes, pressaient le ressort, quand ils ne se le pressaient pas les uns aux autres ? Ce qui distingue notre société contemporaine et européenne de ces sociétés étrangères et primitives, c’est que la magnétisation y est devenue mutuelle pour ainsi dire, dans une certaine mesure au moins ; et, comme nous nous exagérons un peu cette mutualité, dans notre orgueil égalitaire, comme en outre nous oublions qu’en se mutualisant cette magnétisation, source de toute foi et de toute obéissance, s’est généralisée, nous nous flattons à tort d’être moins crédules et moins dociles, moins imitatifs en un mot, que nos ancêtres. C’est une erreur, et nous aurons à la relever. Mais, cela fût-il vrai, il n’en serait pas moins clair que le rapport de modèle à copie, de maître à sujet, d’apôtre à néophyte, avant de devenir réciproque ou alternatif, comme nous le voyons d’ordinaire dans notre monde égalisé, a dû nécessairement commencer par être unilatéral et irréversible à l’origine. De là les castes. Même dans les sociétés les plus égalitaires, l’unilatéralité et l’irréversibilité dont il s’agit subsistent toujours à la base de l’initiation sociale, dans la famille. Car le père est et sera toujours le premier maître, le premier prêtre, le premier modèle du fils. Toute société, même aujourd’hui, commence par-là.

Il a donc fallu a fortiori au début de toute société ancienne un grand déploiement d’autorité exercée par quelques hommes souverainement impérieux et affirmatifs. Est-ce par la terreur et l’imposture, comme on l’affirme, qu’ils ont surtout régné ? Non, cette explication est manifestement insuffisante. Ils ont régné par leur prestige. L’exemple du magnétiseur nous fait seul entendre le sens profond de ce mot. Le magnétiseur n’a pas besoin de mentir pour être cru aveuglément par le magnétisé ; il n’a pas besoin de terroriser pour être passivement obéi. Il est prestigieux, cela dit tout. Cela signifie à mon avis (et conformément à des vues psychologiques exposées par nous ici même il y a plusieurs années) qu’il y a dans le magnétisé une certaine force potentielle de croyance et de désir immobilisée en souvenirs de tout genre, endormis mais non morts, que cette force aspire à s’actualiser comme l’eau de l’étang à s’écouler, et que seul, par suite de circonstances singulières, le magnétiseur est en mesure de lui ouvrir ce débouché nécessaire. Au degré près, tout prestige est pareil. On à du prestige sur quelqu’un dans la mesure où l’on répond à son besoin d’affirmer ou de vouloir quelque chose d’actuel. Le magnétiseur n’a pas non plus besoin dé parler