Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 18.djvu/503

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
499
G. TARDE. — qu’est-ce qu’une société

féodale du moyen âge. Le passé répond de l’avenir. L’égalité n’est qu’une transition entre deux hiérarchies, comme la liberté n’est qu’un passage entre deux disciplines. Ce qui ne veut pas dire que la confiance et la puissance, le savoir et la sécurité de chaque citoyen n’aillent grandissant toujours au cours des âges.

Reprenons maintenant sous un autre aspect l’idée de tout à l’heure. Les communautés homogènes et égalitaires, disons-nous, précédent les Églises et les États par la même raison pour laquelle les tissus précèdent les organes ; et en outre, la raison pour laquelle les tissus et les communautés une fois formés s’organisent, s’hiérarchisent, n’est pas autre que la cause même de leur formation. La croissance du tissu non encore différencié et utilisé atteste l’ambition, l’avidité spéciale du germe qui s’est ainsi propagé, comme la création d’un club, d’un cercle, d’une confrérie d’égaux, atteste l’ambition de l’esprit entreprenant qui lui a donné naissance, en propageant de la sorte son idée personnelle, son plan personnel. Or, c’est pour se répandre encore davantage et se défendre contre les ennemis apparus ou prévus, que la communauté se consolide en corporation hiérarchisée, que le tissu se fait organe. Agir et fonctionner, pour l’être vivant ou social, c’est une condition sine qua non de conservation et d’extension de l’idée maîtresse qu’il porte en lui-même et à laquelle il a d’abord suffi de se multiplier en exemplaires uniformes pour se développer quelque temps. Mais ce que veut la chose sociale avant tout, comme la chose vitale, c’est se propager et non s’organiser. L’organisation n’est qu’un moyen dont la propagation, dont la répétition générative ou imitative, est le but.

En résumé, à la question que nous avons posée en commençant : Qu’est-ce que la société ? nous avons répondu ; c’est limitation. Il nous reste à nous demander : Qu’est-ce que l’imitation ? Ici le sociologiste doit céder la parole au psychologue.

II

1. — Le cerveau, dit très bien M. Taine résumant sur ce point les physiologistes les plus éminents, est un organe répétiteur des centres sensitifs et lui-même composé d’éléments qui se répètent les uns les autres. Le fait est qu’à voir tant de cellules et de fibres similaires pelotonnées, on ne saurait s’en faire une autre idée. La preuve directe est d’ailleurs fournie par les expériences et les observations nombreuses qui montrent que l’ablation d’un hémisphère du cer-