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ments ne la possèdent plus — en théorie du moins — pour l’animal qui a digéré et tous ceux de son espèce. C’est au point que la plupart de ses sécrétions, réintroduites dans son organisme, lui seraient nuisibles. La présence de l’acide carbonique dans l’air est promptement mortelle ; une injection d’acide lactique dans le muscle le paralyse — parce que cet acide est un produit de l’activité musculaire.

Au point de vue donc de leurs éléments, les déchets de l’activité vitale ne diffèrent pas de la nourriture dont ils émanent. Ils ne s’en distinguent qu’au point de vue de l’arrangement des molécules. La manifestation extérieure, et, pour ainsi dire, tangible de cette différence, est leur caractère inerte. Cela ne veut pas dire pourtant qu’ils soient désormais perdus, et qu’ils deviennent même toujours inutiles à l’organisme qui les rejette. Et ici nous retombons dans un scrupule analogue à celui qui nous tourmentait tantôt à propos des aliments. La larve de la criocère du lys, ce joli insecte rouge, s’enveloppe de ses excréments qui, se desséchant sur sa peau nue, lui font une espèce de couverture et la protègent contre les rayons du soleil et peut-être aussi contre ses ennemis. C’est le cas, entre autres, pour les sécrétions dont, à la moindre alerte, certaines chenilles se recouvrent. Aussi, à certains égards, pourrait-on soutenir que la coquille du colimaçon est un excrément, ainsi que les poils et les cheveux, les cornes, les griffes et les ongles, ainsi que le test de l’écrevisse, les téguments des insectes, la carapace de la tortue, et, j’ajouterai, ainsi que notre squelette — s’il ne se renouvelle pas, comme je suis porté à le croire. Nous pouvons en dire autant du bois de l’arbre. N’est-ce pas là, comme l’oxygène, une espèce d’excrément dont il s’accommode pour se dresser, se raidir et résister à ses ennemis, les vents et les tempêtes ? Et voyez, la plante ne peut pas assimiler la cellulose pure, bien qu’elle en produise. Et nous, pouvons-nous réparer nos forces avec des os, avec des cheveux et des ongles, avec l’épiderme, avec des écailles, des coquilles, des fibres végétales ? Il y a donc dans le vivant des parties non vivantes, ou, si l’on aime mieux, moins vivantes. Elles ne diffèrent pas, pour les caractères, des matières évacuées et rejetées par lui, mais elles lui restent unies d’une manière plus ou moins intime en vue d’une utilité quelconque.

Cette dernière circonstance n’en change pas absolument la nature, pas plus que notre fumier ne dépouille son caractère quand nous le faisons servir d’engrais pour nos légumes. Cette longue et minutieuse discussion, quelque oiseuse qu’elle paraisse au premier abord, ne l’est pas : elle va me permettre de préciser l’idée que l’on doit se faire de la réparation vitale, dans le sens exact du terme. J’ai maintenant à rechercher comment, aux