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ANALYSES.e. véron. La morale.

conque du problème, mais on trouvera, je crois, que M. Véron accorde beaucoup à l’intelligence et que tous ses arguments ne sont pas irrésistibles. On peut l’accuser par exemple de prendre des manières d’être du caractère pour des manières d’être de l’intelligence. Au fond, il est très difficile de distinguer complètement les deux choses, et il est regrettable que M. Véron insistant, comme il le fait, sur l’importance des facultés intellectuelles, n’ait pas approfondi davantage la question.

À vrai dire, ce n’est pas seulement à propos de ce problème que l’on peut accuser M. Véron d’avoir été superficiel. Bien des difficultés se présentaient à lui qu’il n’a pas vues ou auxquelles il n’a pas accordé assez d’importance. Pour indiquer une des plus graves, signalons le manque de concordance réel et fréquent, et très important au point de vue d’une morale utilitaire entre l’intérêt personnel et l’intérêt général.

C’est à ce défaut de rester quelquefois, et même assez souvent à la surface des choses que M. Véron doit d’avoir conservé un certain nombre de tendances métaphysiques qui s’accordent mal avec l’esprit général de son livre. Nous lisons, à la page 119, « le droit primordial de l’homme, avons-nous dit, est de satisfaire les besoins qui résultent de sa nature. Ce droit, purement fictif dans l’état d’isolement et même de sauvagerie, devient un droit réel, par le fait seul de la création de la société volontaire, légale, civilisée… » ; p. 123 « le droit précède le devoir, historiquement et logiquement, parce que l’individu précède la société qui n’est que le groupement des individus. Mais outre, le droit personnel qu’apporte en naissant l’individu, il acquiert en entrant dans la société un droit nouveau… » M. Véron n’aurait rien perdu à critiquer plus à fond la notion du droit, qui, fort sujette à l’objection dans les théories spiritualiste et criticiste, ne gagne pas beaucoup à passer dans une théorie matérialiste. Il n’est pas inutile, quoi qu’on en pense généralement, de définir et d’analyser les termes. M. Véron ne se rend certes pas très bien compte de ce que représente pour lui ce mot de droit. Du moins, ne le montre-t-il pas clairement à ses lecteurs. Les quelques explications qu’il donne, pages 110 et 111, sont bien insuffisantes. Si par contre, nous arrivons à la page 458 nous y lisons ceci : Il s’agit de définir le juste. « Dira-t-on que le juste est ce qui est conforme au droit ? Quel droit ? Et qu’est-ce que le droit ? Le droit est ce que nous doivent les autres, comme le devoir est ce que nous leur devons. Cette définition ne manque pas d’apparence, mais il est facile de voir qu’elle est purement superficielle, car elle n’explique en aucune façon ni ce que nous devons aux autres, ni ce qu’ils nous doivent. Or c’est précisément le point important. Qu’importe que le mot soit défini si la chose reste obscure. Et qu’est-ce qu’une définition qui ne définit pas ? Celle-ci a d’ailleurs laissé un trop large champ à l’arbitraire. Qui sera juge du droit et du devoir ? Où est le critérium ? Il n’y en a pas d’autre que la fantaisie individuelle ? » Et M. Véron conclut que l’utile est le critérium