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Je ne suis pas au bout de mes scrupules. On nomme organisme, un ensemble d’organes fonctionnant en vue du tout. À première vue, rien n’est plus clair que cette définition. Mais, comme on le sait, l’organisme est, après tout, le produit de la division d’une souche organique, et ce n’est pas instantanément que le nouvel individu jouit d’une vie indépendante. Depuis le moment où il arrive à l’existence, c’est-à-dire pour les animaux supérieurs, depuis le moment de la fécondation — jusqu’à celui où il puise sa nourriture dans la nature extérieure, il croît et prospère aux dépens d’une nourriture que lui fournit la mère. Peut-on regarder comme étant des aliments pour elle des substances assimilables qu’elle absorbe pour son nourrisson ? Non, sans doute ; ce sont les aliments du nourrisson. D’ailleurs elles sont sécrétées, non à l’état de matières relativement inertes, mais à l’état d’aliments, et même d’aliments parfaits. Tels sont le lait, le miel, l’albumine des œufs, etc. Elles ne font donc que traverser l’organisme.

Sans doute, la question se présente de savoir si l’enfant ne tire pas directement sa subsistance du corps de la mère, et si l’excès de la nourriture prise par celle-ci ne sert pas à compenser l’usure causée par celui-là. C’est affaire aux physiologistes d’examiner ce point de plus près. Mais, tout compte fait, la nourriture complémentaire sert à nourrir le rejeton et non la souche.

Il est bien certain aussi que l’on ne dira pas de la chaux que la poule avale pour en former la coquille des œufs, que c’est pour elle un aliment. D’ailleurs — je le crois du moins et, au besoin, l’expérience ne serait pas difficile à faire le coq n’a pas besoin d’autant de chaux que la poule, et une poularde, à cet égard, ne diffère pas d’un coq.

On portera le même jugement sur la craie, dont les femmes grosses ont assez fréquemment envie, si l’on accorde pour raison d’être à cet instinct accidentel, la formation du futur squelette de l’enfant. En tout cas, si l’on supprimait la chaux des aliments des femmes enceintes, ou elles s’épuiseraient, ou bien elles ne mettraient au monde que des enfants mal venus et rachitiques.

Au contraire, nous regarderons comme un aliment la chaux absorbée directement par l’écrevisse pour former son test, par le colimaçon, pour sa coquille, par l’huître pour ses valves, — et ajoutons-le dès maintenant — par les vertébrés pour leur squelette.

Ceci nous suggère une nouvelle distinction. L’écrevisse, comme on sait, dans le cours de son existence, se dépouille fréquemment de son test devenu trop étroit et incommode. Le colimaçon et l’huître ne cessent d’agrandir leur demeure. Pour ces animaux, la chaux