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l’entend vulgairement, à l’objet sans la pensée, Il n’y a pas entre la conscience et l’inconscience une différence de degré mais de nature ; en d’autres termes, il n’y a pas de passage logique ni psychologique entre la conscience spontanée et la conscience réfléchie. Pour surprendre le secret de la conscience spontanée quel moyen avez-vous ? la conscience réfléchie qui, précisément, semble l’éliminer et la détruire. Malheureusement, après ce vigoureux effort d’analyse (p. 135-150), l’auteur revient vite aux solutions traditionnelles et orthodoxes : « ainsi il nous est permis de prendre quelquefois de la vraie et absolue nature de l’esprit une connaissance distincte au même titre que nous prenons connaissance de tout ce qui est objet pour la pensée ». Argumentation hardie et brillante, conclusion timide et presque banale. M. Ch. Dunan est idéaliste par goût, par tempérament, idéaliste à outrance, mais il se ferait scrupule de porter le moindre préjudice au monde extérieur. Ne lui suffit-il pas d’exister dans la pensée ? Tout au plus peut-on dire que son existence est « moins immédiate » que celle de la pensée, mais « il est un monde de substances et de causes, et la substantialité et la causalité sont les caractères constitutifs, non pas de l’existence apparente et phénoménale, mais de l’existence réelle et absolue » (p. 175). Et, revenant encore une fois sur les principes posés au début, M. Ch. Dunan soutient avec énergie que le monde extérieur n’existe que dans la pensée, mais que c’est là justement que réside l’existence réelle, « le monde extérieur, encore une fois existe au même titre et au même degré que le moi lui-même ; n’est-ce pas assez, et que faut-il de plus ? » Je ne puis me ranger à l’avis de l’auteur ; cette expression la pensée est singulièrement équivoque. M. Ch. Dunan existera dorénavant dans la pensée des philosophes qui liront son livre, mais il existe d’abord et avant tout dans sa propre pensée et je présume que cet avantage vaut bien le premier. Si vous me prouviez que l’univers existe non seulement dans ma pensée, mais aussi dans sa propre pensée, je comprendrais que vous disiez : « n’est-ce pas assez et que faut-il de plus ? » Jusque-là, et sauf impuissance de ma part à comprendre ce qu’il y a de subtil et de quintessencié dans cette solution, je ne puis admettre ce réalisme idéaliste ou cet idéalisme réaliste, comme on voudra l’appeler. Tout s’est évanoui dans les cornues de cette chimie idéale et je ne trouve même pas, à la fin de l’opération, un caput mortuum pour reconstituer l’univers. Métaphysiquement parlant, j’avoue que le sort de l’univers me laisse absolument indifférent, mais je regrette que tant de subtilité et même de profondeur soit dépensée, je ne dis pas en pure perte, mais pour aboutir à des solutions traditionnelles, orthodoxes, timides, indécises. Il nous faut du nouveau n’en fût-il plus au monde. M. Ch. Dunan semble en avoir plein les mains ; nous accourons empressés et toute heureux de pressentir et de rencontrer toutes sortes de hardiesses métaphysiques ; puis brusquement, nous sommes ramenés au dieu créateur et au mystère de l’incarnation. Bref, l’ouvrage très remarquable et très personnel de M. Ch. Dunan nous a paru ailier ces deux carac-