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ANALYSES.ch. dunan. Essai sur les formes a priori, etc.

à l’intuition simultanée du moi et de l’univers. Pourquoi ces deux faces du même phénomène de conscience ? C’est la question même des rapports du moi et du non-moi, de l’esprit et de l’univers. Le temps et l’espace nous ont conduits aux sommets les plus ardus de la métaphysique. Il fallait que la scission se fit et que l’univers fût posé pour que la loi de l’unité et de la multiplicité fût réalisée : en tant qu’une la pensée devrait rester elle-même, mais en tant que multiple et mobile, il était fatal qu’elle devint autre qu’elle-même. « Le temps, c’est la forme que prend l’unité multiple du moi ; l’espace, c’est la forme que prend la multiplicité une de l’univers » (p. 121). M. Ch. Dunan ne néglige pas d’expliquer avec le mystère du monde le secret du génie ; il devait être dans sa théorie, et il est, en effet, la puissance de concentration et de synthèse avec laquelle se constitue la pensée. Quant à Dieu, (car cette trop compréhensive formule de l’unité multiple et de la multiplicité une doit décidément tout expliquer), il est évidemment, la pensée de la pensée. Et les rapports de Dieu au monde ? Ne craignez rien ; l’auteur tient une explication toute prête : « la solution existe, dit-il, c’est que Dieu, qui n’est point créateur par essence, s’est fait créateur par amour ». Notre aventureux métaphysicien veut bien convenir toutefois que cette solution « n’est pas de nature à faire l’objet d’une démonstration rigoureuse ». Hélas ! pour que cette théodicée soit complète et que rien n’y manque, voici venir le mystère de l’incarnation ! Hâtons nous de nous récuser à l’exemple de la Faculté elle-même qui ne peut être ni un synode, ni un concile. Et puis, on se défie d’une formule qui explique tant de choses avec une si « terrible » certitude : tant de choses en un seul mot ! Que j’aime bien mieux les pénétrantes analyses psychologiques du conscient et de l’inconscient qui sont l’objet du chapitre suivant.

La conscience, nous dit M. Ch. Dunan, n’est pas attachée à la pensée et rien n’est plus absurde que de faire une dualité de la conscience et de la pensée. La pensée est essentiellement la connaissance d’’elle-même : un cerveau sans conscience, bien loin d’être une excellente machine intellectuelle, n’aurait absolument rien d’intellectuel (sinon pour une intelligence extérieure), dans son merveilleux mécanisme. Une conscience sans pensée et une pensée sans conscience, double et également monstrueuse absurdité ! Chacune des pensées de l’esprit c’est l’esprit lui-même, avec la pleine conscience, mais, de par la loi du temps, chaque pensée n’est entière, distincte, pleinement consciente qu’à la condition de devenir objet pour une pensée ultérieure, pour la pensée actuelle. Lumineuse par et pour elle-même, on ne peut pas dire de la pensée qu’elle s’éclaire elle-même par la conscience : encore une fois la dualité n’existe pas et le langage ordinaire nous abuse et nous leurre. À vrai dire, la pensée pense les objets, mais ne se pense pas elle-même ; pour être pensée elle n’a qu’une ressource qui est de devenir objet à son tour. La conscience parfaite, c’est donc l’inconscience radicale : la pensée sans objet équivaut, au point de vue de la conscience, telle qu’on