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impose à priori aux phénomènes et d’après lesquelles il constitue sa propre connaissance ?

M. Ch. Dunan est partisan de Kant en ce qui concerne la première question : le temps et l’espace n’ont pas d’existence réelle et absolue, Il fait une esquisse historique de la théorie kantienne et résume finalement de la manière suivante (p. 41), les arguments qui lui semblent donner une valeur définitive et une base inébranlable à la doctrine de la relativité et de la subjectivité du temps et de l’espace. En premier lieu, qu’on n’oublie pas que le temps et l’espace sont des continus et qu’à ce titre ils doivent être considérés comme appartenant exclusivement à l’ordre représentatif, nullement à l’ordre objectif et absolu. Or le continu ne peut provenir pour nous (p. 19) que des variations d’intensité d’une seule et même représentation. Autrement, s’il n’y avait pas continuité dans la conscience, tout se réduirait à une poussière d’éléments psychiques, à un véritable atomisme intellectuel. Quels sont maintenant les caractères du continu ? Il est indéfiniment divisible, car la division est une action de l’esprit sur lui-même et cette action est indéfectible et inépuisable. Comme concept, il se suffit à lui-même et n’est pas composé d’éléments, précisément parce qu’il est indéfiniment divisible. Cela seul suffit à nous montrer qu’il n’y a pas de continu réel, objectivement et actuellement réalisé : le réel est nécessairement devrait être composé et composé d’une infinité d’éléments, ce qui est contradictoire ; un continu réel composé échapperait à la fois à analyse indéfiniment, à la synthèse puisque, faute d’éléments ultimes, la recomposition est impossible ; enfin la grandeur extensive sous laquelle le continu réel et objectif nous apparaîtrait dépend nécessairement de conditions subjectives. Rien n’est grand et rien n’est petit absolument ; un instant égale l’éternité ; grandeur et durée sont des notions toutes relatives qui ne sauraient être les attributs réels d’une chose en soi.

Voilà donc la thèse de Kant solidement établie, mais établie par des raisons différentes de celles de Kant et très rigoureusement déduites de la définition même du continu. Il n’en faudrait pas conclure que M. Ch. Dunan s’en tint à la thèse de Kant ; ce n’est là qu’un préambule, une solution provisoire. Ces formes à priori ne seraient elles pas dérivées et ne doit-on pas remonter, au lieu de recourir à l’innéité, jusqu’à la condition antérieure et vraiment fondamentale de la représentation ? Pourquoi Kant regarde-t-il le temps et l’espace comme des faits primitifs irréductibles, antérieurs à toutes les intuitions particulières et fort semblables (dût-on, pour le besoin de la thèse, prendre le mot antérieur dans son sens purement logique et métaphysique) aux idées innées, à une sorte de pensée avant la pensée ? Qu’est-ce qu’une faculté qui se révèle à l’occasion de l’expérience et qu’en peut-on dire avant l’expérience ? Sans doute Kant s’en fût tenu à