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physiciens. Cette manière d’entendre la métaphysique peut paraître insuffisante à certains philosophes encore épris de certitude apodictique. Cependant il arrive à M. Ott lui-même de dire que pour expliquer la permanence des qualités, nous supposons une unité réelle qui se trouve dans le sujet (p. 188) ; ailleurs il nous parle aussi des suppositions de l’opinion commune et de la science universelle (p. 139). Dans tous les : cas, il n’y a rien à gagner, et il y a beaucoup à perdre, à confondre deux manières de procéder aussi différentes. Quoi qu’on fasse, on ne fera pas que les substances et les causes soient connues de la même façon que les phénomènes. Autrement, y aurait-il tant de désaccord entre les penseurs ?

Nous touchons ici à ce qui fait à nos yeux le vice radical de l’argumentation de M. Ott. Il raisonne toujours comme si l’idéalisme et le criticisme doutaient de l’existence du monde extérieur. Mais quel philosophe, excepté les sceptiques, et encore ! à jamais professé un pareil doute ? Ce n’est en tout cas aucun de ceux que M. Ott met en cause. Les divergences portent, non sur la croyance elle-même, mais sur la manière dont cette croyance se produit, sur les raisons qui peuvent la justifier, sur l’idée que nous pouvons nous faire de la réalité objective. La connaissance des choses sensibles est-elle une connaissance au sens scientifique du mot, ou une croyance, et quelle est la nature, quels sont les fondements de cette croyance ? Le monde existe-t-il tel que nous le représentent les sens ? Est-il plus rationnel, est-ce une hypothèse plus satisfaisante de le concevoir comme formé d’atomes, ou comme une étendue continue, ou comme un composé de monades immatérielles, de sujets analogues à notre esprit, comme l’ont cru Berkeley et Leibnitz, ou, au contraire, comme le développement d’une idée pure ? Voilà les questions qui divisent. Sur l’existence même du monde, idéalistes et criticistes sont d’accord entre eux et avec le sens commun.

Il est vrai que suivant M. Ott ils ne sont pas d’accord avec eux-mêmes, et que leur théorie, rigoureusement suivie, mène droit au scepticisme absolu. Mais c’est une méthode dangereuse de faire le procès aux gens au nom de conséquences qu’on se charge soi-même de tirer de leurs principes, et qu’ils n’avouent pas. On n’est pourtant pas sceptique sans le savoir ; or les idéalistes et les criticistes croient à beaucoup de choses. S’ils sont sur la pente qui mène au scepticisme, du moins se sont-ils arrêtés : c’est un mérite. — C’est un tort, répondra-t-on : s’ils tiraient toutes les conséquences de leur doctrine, ils y arriveraient bien vite. Mais n’est-ce pas une chose remarquable que cette prétention, commune à tous les philosophes, moyennant certaines conséquence s qu’ils se changent eux-mêmes de tirer, et que répudient leurs adversaires, d’interdire toute certitude à ceux qui ne pensent pas comme eux ? Hors de leurs systèmes, point de salut : ils diraient volontiers : la science est à nous ; c’est à vous d’en sortir. Les matérialistes procèdent ainsi, aussi bien que les spiritualistes ; on voit même les panthéistes se