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delbœuf. — origine de la vie et de la mort

Ou sinon, il faut regarder comme un aliment l’eau que, dans les pays de montagnes, un voyageur inexpérimenté absorbera en quantité excessive pour apaiser une soif que par là il rend plus inextinguible, et l’eau qui ranime la plante ou le rotifère desséché. Il faut donner le même nom aux cailloux que bon nombre d’oiseaux avalent, dit-on, pour aider l’estomac à exercer ses fonctions digestives. Il faut assimiler au combustible, l’huile qui graisse les surfaces de glissement d’un engin mécanique, et sans laquelle il ne marcherait pas.

Question de mots, dira-t-on. Certes on est libre, dans une certaine mesure, d’élargir la signification d’un terme. Mais alors on doit sans cesse se ressouvenir que, sous ce terme, sont comprises des choses absolument différentes. Pour éviter toute confusion, je préfère donc, pour l’usage que j’en ferai dans ce travail, et sous réserve d’une distinction entre la fonction formatrice et la fonction motrice, restreindre et étendre à la fois la signification du mot aliment. Je l’appliquerai à tout ce qui, introduit dans l’organisme, s’y compose et s’y décompose en vue de son utilité. La suite confirmera la justesse de ce procédé[1].

  1. Voici ce que m’écrit à ce sujet M. Nuel, professeur de physiologie à l’université de Gand, en réponse à des demandes que je lui avais adressées. Je l’ai reçue quand tout ce qui précède était achevé. Elle a levé toutes mes hésitations.

    « J’ai songé à la définition du mot aliment. Le résultat est que je n’arrive à aucune définition absolument satisfaisante. Ce mot a été créé par le vulgaire, et, comme en bien d’autres cas analogues, il se peut que la science finisse par modifier sensiblement l’idée qu’on y a attachée primitivement.

    « Le sens restreint attaché par le public au mot aliment, celui auquel je serais porté à me rallier, revient à considérer comme tels les principes qui, après absorption, se transforment dans notre corps de manière à mettre de l’énergie en liberté.

    « À ce point de vue, l’eau, les sels minéraux ne sont certainement pas des aliments. Le bouillon et l’alcool non plus, en ce sens qu’ils agissent surtout comme excitants du tube digestif et du système nerveux, au même titre que le poivre, etc., et qu’ils sont recherchés et mangés en vue de cette action. Les sels, bien qu’indispensables à l’entretien de la vie, ne sont que des machines à l’aide desquelles l’énergie des principes alimentaires est mise en liberté.

    « Il me semble qu’à ce point de vue, bien que contrairement aux idées qui ont présidé à la création du mot, l’oxygène doive être considéré comme le premier aliment de tous.

     

    « On constate, chez certains physiologistes, la tendance à considérer comme aliments tous les corps indispensables, ou même seulement utiles à l’entretien de la vie, même s’ils traversent l’organisme sans se modifier chimiquement.

    « Le fait est qu’il est aujourd’hui impossible de tracer une ligne de démarcation nette, d’une part, entre les principes utiles à l’organisme à la manière des sels et des excitants, et, d’autre part, entre les corps qui se transforment dans l’organisme de manière à mettre de l’énergie en liberté. L’alcool est pris pour ses propriétés excitantes ; mais une partie se transforme à la manière des hydrocarbures. Dans le bouillon lui-même, il y a de la gélatine et d’autres corps qui se brûlent dans l’organisme. »