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ANALYSES.a. ott. Critique de l’idéalisme et du criticisme.

fort bien servir à distinguer les divers modes de la pensée. M. Renouvier a bien pris soin de signaler cette signification et de prévenir l’équivoque.

L’objection de M. Ott vaut peut-être contre l’idéalisme de Mill ; elle n’effleure pas le criticisme. Il est vrai qu’on conteste à ce dernier le droit d’analyser ainsi la représentation. « En vertu de la distinction que nous faisons naturellement entre la chose représentée et la représentation, nous comprenons que la seconde n’est pas toujours adéquate à la première, nous voyons qu’il y a duns la chose des éléments qui n’entrent pas dans la représentation, et ce qui nous occupe avant tout, ce qui fait l’objet de toutes les investigations scientifiques et pratiques, C’est cet inconnu qui n’apparaît pas au premier abord, ce sont ces éléments de la chose dont nous n’avons pas de représentation, et dont nous désirons nous en former une » (p. 60). — M. Ott, on le voit, se place toujours, comme nous le lui reprochions tout à l’heure, au point de vue de la distinction que fait le sens commun entre l’idée et la chose : il la prend pour certaine, parce qu’elle nous est naturelle ; or, il s’agit précisément de savoir si elle est légitime. Il suppose toujours ce qui est en question. Sans compter qu’il n’est pas aisé de comprendre comment nous pouvons voir qu’il manque quelque chose à notre représentation pour être adéquate, si nous ne concevons déjà, si nous ne nous représentons à quelque degré, par analogie avec les représentations antérieures, ce qui lui manque.

Les admirables mots que ceux de perception, d’intuition, même de connaissance ! Ils ont deux sens, et peuvent servir à des fins fort diverses. Ils désignent d’abord l’acte de l’esprit qui se représente une chose ; Leibnitz, par exemple, emploie toujours le mot perception dans ce sens purement subjectif. Mais les mêmes mots peuvent désigner aussi l’acte de l’esprit qui sort en quelque sorte de lui-même, va chercher une réalité hors de lui, s’en empare, et se l’approprie : c’est ainsi que l’entendaient les stoïciens et les Écossais. Par une pente insensible, on passe d’une de ces significations à l’autre ; grâce à cette sorte de jeu de mots, la perception étant la perception d’une chose, l’idée finit par se confondre avec son objet. Et voilà comment tant de philosophes se flattent d’avoir prouvé ce qu’ils se bornent à affirmer.

C’est en ce dernier sens que M. Ott emploie le mot percevoir, quoique il ne prenne pas la peine de le définir exactement. Mais la perception ainsi entendue, que peut-elle bien être ? Il semble que l’on dise une chose intelligible quand on parle de l’esprit qui saisit, qui comprend hors de lui une chose d’une nature toute différente de la sienne ; mais c’est une simple métaphore. Les stoïciens seuls et Hamilton ont osé pousser le paradoxe jusqu’au bout, et soutenir que l’esprit appréhende la réalité corporelle, ou, comme dit Hamilton, que nous avons conscience des objets extérieurs. Il faut rendre à M. Ott cette justice qu’il ne va pas jusque-là ; il comprend à merveille que avoir conscience de quelque chose hors de soi est une contradiction dans les termes ; c’est l’idée ou