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revue générale. — b. perez. Les théories de l’éducation.

successivement pendant leur vie entière toutes leurs forces à l’étude d’un seul sujet. Il est clair, d’après cela, que, quoiqu’il soit infiniment plus facile et plus court d’apprendre que d’inventer, il serait certainement impossible d’atteindre le but proposé, si l’on voulait assujettir chaque esprit individuel à passer successivement par les mêmes intermédiaires qu’a dû suivre le génie collectif de l’espèce humaine. De là l’indispensable besoin de l’ordre dogmatique, si sensible aujourd’hui pour les sciences les plus avancées, dont le mode ordinaire d’exposition ne présente plus presque aucune trace de la filiation effective de leurs détails… Il faut néanmoins ajouter, pour prévenir toute exagération, que tout mode réel d’exposition est inévitablement une certaine combinaison de l’ordre dogmatique et de l’ordre historique, dans laquelle le premier doit dominer constamment et de plus en plus ». Ce sont là des idées fort sages, qu’auraient bien fait de méditer certains partisans absolus de la méthode euristique, et entre autres Jacotot. La spontanéité de l’élève peut très bien se concilier avec un dogmatisme libéral et prudent, comme Bain l’a dit, peut-être en s’inspirant de la pensée de Comte.

Les critiques de M. Allievo touchant l’ordre hiérarchique de l’enseignement, sans être nouvelles, méritent d’être rapportées, d’autant plus qu’il en adresse d’à peu près semblables à Herbert Spencer. Cette classification des sciences selon leur degré de simplicité décroissante et de complexité croissante, n’est pas aussi rigoureuse qu’elle le paraît. « Il y a une simplicité vraie, et une simplicité apparente. Il y a une simplicité concrète, vivante, organique, telle que du peu contenu en elle, il sorte ensuite beaucoup, et c’est la simplicité vraie. Il y a aussi une simplicité abstraite, inorganique, inféconde, qui ne sait pas par sa vertu propre passer du moins au plus : c’est la simplicité apparente et illusoire. La simplicité qui a présidé à la hiérarchie encyclopédique de Comte, n’est pas la vraie. Entre les sciences qui se suivent, il y a le rapport du moins au plus ; mais ce que la science qui suit a en plus de celle qui précède ne naît pas naturellement de celle-ci, n’a pas en elle sa raison d’être. Les sciences les plus complexes viennent après les plus simples, mais elles ne forment pas un ensemble avec elles, en un mot, il y a entre elles succession, non connexion. Le vrai système des sciences doit être un tout organique et harmonique, avec intimité de vie et continuité de développement ; et dans le système encyclopédique du positivisme, cette organisation du savoir, miroir et image de la réalité connue, se trouve moins que toute autre chose. Ce grave défaut se reproduit dans le système pédagogique de Comte… Dans cet enseignement, tel qu’il a été compris par les sectateurs de sa doctrine, la mathématique serait d’abord enseignée ; puis l’astronomie, puis la physique, et ainsi de suite. Et la raison d’un tel procédé ? Ce n’est pas que dans la science enseignée en premier lieu il y ait quelque idée logique justifiant le passage que fait l’esprit de l’élève à une autre science, mais parce que la mathématique est plus simple que l’astro-