Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 18.djvu/462

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
458
revue philosophique

branches d’un tronc unique, soient réduites d’abord à ce qui constitue leur esprit, c’est-à-dire à leurs méthodes principales et à leurs résultats les plus importants. Ainsi l’enseignement des sciences peut devenir la base d’une nouvelle éducation générale vraiment rationnelle. Qu’ensuite à cette construction fondamentale s’ajoutent les diverses études scientifiques spéciales, cela ne peut évidemment être mis en doute. » Auguste Comte pressentait donc la nécessité pour tous d’étudier le système entier des sciences pour prendre une idée exacte de la méthode positive, chaque science offrant particulièrement l’emploi de telle discipline. « Que penser, disait-il, de nos jeunes physiologistes, qui arrivent à la physiologie avec deux langues mortes pour tout bagage, et nulle connaissance préalable en physique et en chimie. » Mais s’il voulait une éducation intégrale, c’est-à-dire non fragmentaire, il la voulait identique seulement en qualité. L’instruction, selon lui, comportait des degrés, « des variétés d’extension dans un système constamment semblable et identique ».

La classification des sciences établie par Comte servait naturellement de règle à son système d’éducation. Puisque les sciences se commandent l’une l’autre, il convient de les étudier dans l’ordre de leurs rapports. « N’oublions pas que, dans presque toutes les intelligences, même les plus élevées, les idées restent ordinairement enchaînées suivant l’ordre de leur acquisition première ; et que, par conséquent, c’est un mal le plus souvent irrémédiable que de n’avoir pas commencé par le commencement. Chaque siècle ne compte qu’un bien petit nombre de penseurs capables, à l’époque de leur virilité, comme Bacon, Descartes et Leibnitz, de faire véritablement fable rase, pour reconstruire de fond en comble le système entier de leurs idées acquises ». Le commencement sera donc, d’après Auguste Comte, les sciences les plus abstraites, ou les plus simples, et la fin, les sciences caractérisées au plus haut degré par leur concrétion ou leur complexité.

Passons à la forme générale de l’enseignement. Elle sera dogmatique avant tout, et pour diverses raisons. Une des moins sérieuses, à mon avis, c’est que l’élève doit ajouter foi à la parole autorisée du maître ; et pour cela, tout esprit d’examen et de discussion doit être banni de l’enseignement. Il n’est point nécessaire de fournir à l’élève les preuves de ce qu’on lui enseigne ; rien qu’en demander serait une offense à la pieuse mémoire de nos aïeux, auxquels nous devons le patrimoine de savoir, que nous possédons. Je ne prendrai pas la peine de discuter ces raisons-là. En voici d’autres, moins sentimentales. « La tendance constante de l’esprit humain quant à l’exposition des connaissances, est de substituer de plus en plus à l’ordre historique l’ordre dogmatique, qui peut seul convenir à l’état perfectionné de notre intelligence. Le problème général de l’éducation intellectuelle consiste à faire parvenir, en peu d’années, un seul entendement, le plus souvent médiocre, au même point de développement qui a été atteint, dans une longue suite de siècles, par un grand nombre de génies supérieurs appliquant