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respectée, et dont l’accomplissement s’impose tout ensemble à la famille, aux maîtres et aux directeurs d’enseignement. On ne saurait mieux garder la mesure et tout concilier, les droits de l’éducateur et ceux de l’enfant, ceux de l’autorité et d’une liberté nécessaire.

Combien cette mesure fait défaut à certains pédagogues allemands, et cela pour une foule de raisons, parmi lesquelles l’oubli ou le dédain de la pédagogie étrangère ne sont pas les moindres ! Je n’en veux pour preuve que Diesterweg, apôtre fervent de Rousseau et de Pestalozzi, défenseur acharné de la méthode naturelle, mais avocat très franc et très convaincu de la discipline du bâton. La liberté est pour lui « une des formes les plus élevées de la vie morale. Mais cette liberté est faite de respect et d’autorité… Si l’exemple et la parole sont sans effet, n’hésitons pas à user de force. Il faut à tout prix réprimer le mal et forcer le coupable à respecter la loi et celui qui l’a proclamée. » Et voyez qu’elle rigueur dans le développement de sa thèse : « Celui-là se trompe qui n’a pas éprouvé qu’une bonne tape donnée à propos fait un effet plus prompt et plus durable qu’un long sermon, et il ignore ce qu’est, ce que doit et peut être une école, et ce que c’est que le devoir professionnel[1] ». Je me demande si la méditation assidue des grands maîtres de la pédagogie moderne, entre autres de Montaigne et de Locke, n’aurait pas atténué en quelque façon chez Diesterweg les influences naturelles du milieu et des traditions, et amené ce rébarbatif pédagogue à voir que la schlague n’est pas le seul ni le meilleur moyen d’assurer la soumission chez les soldats et l’usage régulier de la liberté chez les enfants.

III

Je préfère aux systèmes les théories. Volontiers je dirais de maint système d’éducation ce que Locke disait, en général, de certaines constructions métaphysiques ou logiques : « semblables à ces formes bizarres que l’imagination des hommes croit parfois distinguer dans les nuages du ciel. » Mon idéal serait plutôt, ce que Locke a été pour son temps, « le commentateur patient des faits et de l’expérience, l’observateur prudent et modéré qui ne se risque à recommander une maxime qu’après l’avoir éprouvée lui-même et mise en pratique[2]. » Mais tout n’a pas été métaphysique dans les essais de synthèse idéaliste, comme tout n’a pas été empirique dans les expériences des praticiens de toutes les époques. Ne soyons pas plus sévères qu’il ne faut pour ces constructions trop hâtives ou trop démesurées, que les esprits amis d’ordre, d’unité, de simplification, ont voulu ériger en systèmes définitifs de l’éducation. Leurs tentatives ont pu avoir quelque mérite, ne serait-ce

  1. Diesterweg, Œuvres choisies, traduites par P. Goy, Hachette, 1884.
  2. Quelques pensées, etc., édition Compayré, p. 12.