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II

À quel titre, et dans quelle mesure, l’histoire de la pédagogie peut-elle servir à en constituer la science ? L’examen d’un nouveau livre de M. Compayré, maître incontesté dans ces matières, va nous fournir l’occasion de répondre à cette question. L’auteur de l’Histoire critique des doctrines de l’éducation en France a pu refaire son livre ; mais on ne refera pas l’éloge de ce livre, après M. Gréard. « L’auteur, disait ce dernier dans son rapport à l’Académie des sciences morales et politiques, est maître de son sujet. Il emprunte, soit à l’histoire générale, soit à l’histoire des grands établissements d’éducation, soit à la biographie des personnages, tout ce qui peut servir à mettre les doctrines en leur jour, mais rien de plus ; il ne se laisse entraîner à aucun écart. Ses analyses sont sobres ; toutes ses citations portent. On sent une main exercée et sûre. Très nourri, le mémoire est en même temps d’une lecture facile. L’auteur possède un fonds classique riche et solide : il a étudié la question aux sources, savamment ; mais il porte son érudition avec aisance, à la française. » Le meilleur éloge qu’on puisse faire maintenant de ce livre si bien venu et si connu, c’est de s’y plaire et d’en profiter. L’exemple nous en est donné par son propre auteur : il vient d’y tailler l’étoffe d’une Histoire de la pédagogie. Je ne puis qu’indiquer sommairement les additions importantes qui font de ce livre une œuvre nouvelle. Les chapitres I (L’éducation chez les Hindous, les Israélites et les Chinois), VI (Luther et Coménius), XVI (Mirabeau, Talleyrand, Condorcet), XVII (Lakanal, Daunou), XVIII (Pestalozzi), XIX (Frœbel, le P. Girard), XXII (Herbert Spencer et Bain), sont entièrement ou presque entièrement nouveaux : par leur sujet, ils ne rentrent pas dans le cadre de l’Histoire des doctrines de l’éducation en France depuis le XVIe siècle.

Si je trouve peu à reprendre dans cette œuvre d’un écrivain heureusement entré, comme l’a dit M. Defodon, en concurrence avec lui-même, j’ai quelques réserves à lui adresser touchant certaines affirmations trop absolues de sa préface. J’y lis à la page XIV : « L’histoire de la pédagogie est l’introduction nécessaire à la pédagogie elle-même. On doit l’étudier, non par esprit d’érudition et de vaine curiosité, mais dans une intention pratique, afin d’y rechercher les vérités durables qui sont les éléments essentiels d’une théorie définitive de l’éducation » Les élé-

    de la science propre à la seconde moitié du XIXe siècle. » Telle est la thèse, éminemment vraie, selon moi, que M. Paul Bourget a soutenue naguère dans son brillant Essai de psychologie contemporaine. Par l’influence de leurs sentiments divers, et abstraction faite de leurs idées, de tels écrivains influent directement sur le tempérament moral des jeunes générations. Cela doit donner à réfléchir à ceux qui comptent à peu près exclusivement sur l’efficacité de l’enseignement pour moraliser les hommes. Il y a, de ce côté, bien des problèmes à résoudre, qui sont à peine posés, bien des mesures à prendre, dont ne se doutent pas les pédagogues les plus autorisés.