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revue générale. — b. perez. Les théories de l’éducation.

comme des fictions vides les pouvoirs et les essences immuables de l’âme, et elle enseigne la manière dont la toile de la conscience peut être tissée avec les fils renoués à l’expérience de l’individu et de la race. L’homme, de cette façon, se dérobe à la discrétion de puissances inconnues, et domine les forces élaboratrices de son être. D’autre part, la science sociologique découvre, sous les faits de l’histoire, les lois de la culture, et ouvre les sentiers de l’avenir. Elle détermine la signification, la direction, la valeur de l’individu au sein de la collectivité. Enfin l’ensemble des sciences naturelles et des sciences morales obtenu par le progrès de l’histoire, fournit à l’homme présent des moyens de développer plus complètement son activité dans les sphères de l’industrie, du commerce, des arts, de la famille, de la société[1]. »

On sent dans ces pages si fermes et si nettes la fusion d’une double influence, celle de Comte et telle de Spencer, ou plutôt de Darwin, auxquelles M. Angiulli, esprit très calme et très sérieux, s’abandonne tout à la fois ou tour à tour avec le plus louable discernement. Son jeune compatriote et ami, M. De Dormninicis, esprit brillant, fougueux, suit avec un plus facile entraînement la pente positiviste et la pente évolutionniste. C’est ce qui donne une couleur originale à ses vives critiques contre la vieille psychologie et la vieille pédagogie, et aux développements de sa propre doctrine. Je conseille vivement à nos jeunes pédagogues la lecture du nouveau livre de M. De Dominicis. Il a pour titre Studi di pedagogia[2], et contient un certain nombre d’études très intéressantes, déjà publiées dans la Rivista di Filosofia scientifica, de M. Morselli, et dans l'Archivio di pedagogia, de M. Latino. Cela dit, je reviens à son illustre ami.

Le livre de M. Angiulli se termine par une discussion de Ia plus haute importance. A l’encontre d’Herbert Spencer, dont l’opinion bien connue est que l’instruction n’influe en rien sur la conduite, que le sentiment dirige le cours de nos idées et de nos déterminations, M. Angiulli attribue aux idées, aux connaissances scientifiques, la direction, et quelquefois la production des sentiments. Cette question est loin d’être vidée.

    Parmi ces collaborateurs, souvent occultes, dont l’influence agit sur la sensibilité à l’insu des éducateurs, et en dépit de la plus large instruction, quel pouvoir a, par exemple, la libre lecture ! Tout livre qui séduit, frappe ou passionne l’imagination, une seule fois lu, peut laisser une trace indélébile. Les livres de ce genre, qui prennent l’adolescent par les entrailles, voilà ses tout-puissants, et souvent ses terribles « éducateurs ». À ce point de vue, le « mystique, libertin et analyseur » Beaudelaire prend place à côté du religieux, tendre, un peu sceptique et pessimiste M. Renan ; entre le romantique, l’idéaliste, le physiologiste, le nihiliste Flaubert, et le sensuel, subtil, romanesque et ironique Stendhal, se rencontre Taine, l’homme des jouissances intellectuelles, le chercheur passionné des petits faits, des lois et des formules dominatrices, « ce systématique d’une rare vigueur d’esprit », qui « représente, avec une intensité singulière, la religion

  1. La pedagogia, lo stato e la famiglia, p. 25.
  2. Milan, Trevisini, edit. 1884, 1 vol.  in-12, de 176 pages.