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TH. RIBOT. — bases affectives de la personnalité

sentiments, images, idées, actes. La science est en état de les compter, d’en déterminer le nombre avec une exactitude suffisante. Pendant le même laps de temps, chez le même homme, il se sera produit un nombre d’actions nerveuses beaucoup plus considérable. La personnalité consciente ne peut donc pas être une représentation de tout ce qui se passe dans les centres nerveux : elle n’en est qu’un extrait, une réduction. C’est la conséquence inévitable de notre nature mentale : nos états de conscience s’ordonnent dans le temps, non dans l’espace, suivant une dimension, non suivant plusieurs. Par fusion et intégration des états simples entre eux, se forment des états très complexes qui entrent dans la série comme s’ils étaient simples ; ils peuvent même coexister, en une certaine mesure, pendant quelque temps ; mais, en définitive, le cercle de la conscience, l’Umfang des Bewusstseins, surtout de la conscience claire, reste toujours très limité. Il est donc impossible de considérer la personnalité consciente, par rapport à la personnalité objective, cérébrale, comme un décalque qui s’applique exactement sur son dessin : elle ressemble plutôt à un levé de plan topographique par rapport au pays qu’il représente.

Pourquoi certaines actions nerveuses deviennent-elles conscientes et lesquelles ? Répondre à cette question, ce serait résoudre le problème des conditions de la conscience. Nous avons dit déjà qu’on les ignore en grande partie. On a aussi beaucoup discuté sur le rôle que jouent, dans cette genèse, les cinq couches de cellules corticales. De l’aveu même des auteurs, ce sont de pures hypothèses. Passons outre : il n’y a aucun profit pour la psychologie à s’appuyer sur une physiologie sans solidité. Nous constatons que les états de conscience toujours instables se suscitent et se supplantent. C’est l’effet d’une transmission de force ou d’un conflit de forces qui, pour nous, à lieu non entre les états de conscience, comme on l’admet généralement, mais entre les éléments nerveux qui les supportent et les engendrent. Ces associations et antagonismes, bien étudiés de nos jours, ne sont pas de notre sujet. Il nous faut pénétrer plus avant, jusqu’aux conditions de leur unité organique. Ces états de conscience ne sont pas, en effet, des feux follets qui s’allument et s’éteignent tour à tour : il y a quelque chose qui les unit et qui est l’expression subjective de leur coordination objective. Là est la raison dernière de leur continuité. Bien que nous ayons déjà étudié ce point, il est si important que je ne crains pas d’y revenir sous une autre forme.

Remarquons qu’il ne s’agit pas pour le moment de la personnalité réfléchie, mais de ce sentiment de nous-même, spontané, naturel, qui existe chez tout individu sain. Chacun de mes états de con-