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façonnent les centres nerveux, leur donnent un ton propre, une habitude. Qu’on se représente un instant la prodigieuse puissance de ces actions (si faibles qu’on les suppose) transmises sans cesse, sans repos ni trêve, répétant toujours le même thème avec quelques variations. Comment n’auraient-elles pas pour résultat la constitution d’états organiques, c’est-à-dire stables par définition, qui sont les représentants anatomiques et physiologiques de la vie interne ? Évidemment, tout ne vient pas des viscères seuls, car les centres nerveux ont aussi leur constitution propre (innée ou héréditaire) en vertu de laquelle ils réagissent ; ils ne sont pas seulement récepteurs, mais incitateurs, et ce n’est que par une fiction inadmissible qu’on les séparerait des organes qu’ils représentent et avec lesquels ils ne font qu’un : entre les uns et les autres, il y a réciprocité d’action.

Où aboutissent finalement toutes ces actions nerveuses, résumé de la vie organique ? On n’en sait rien. Ferrier suppose que les lobes occipitaux sont en rapport spécial avec la sensibilité des viscères et constituent le substratum anatomique de leurs sensations. Admettons-le à titre de pure hypothèse et seulement pour fixer les idées. Il en résulterait que d’étapes en étapes, de délégations en délégations, la vie viscérale trouverait là sa représentation dernière ; qu’elle y est inscrite dans une langue inconnue de nous, mais qui, par ses agencements, ou (pour continuer la métaphore) par la disposition des mots et des phrases, exprime l’individualité interne, et elle seule à l’exclusion de toute autre individualité. Au reste, que cette représentation anatomique existe là ou ailleurs, qu’elle soit localisée ou disséminée, cela ne change rien à notre conclusion, pourvu qu’elle existe. Je ne regrette pas d’insister, parce que cette coordination des innombrables actions nerveuses de la vie organique est la base de la personnalité physique et psychique, parce que toutes les autres coordinations s’appuient sur elle, s’ajoutent à elle ; parce qu’elle est l’homme intérieur, la forme matérielle de sa subjectivité, la raison dernière de sa façon de sentir et d’agir, la source de ses instincts, ses sentiments et ses passions, et pour parler comme au moyen âge, son principe d’individuation.

Passons du dedans au dehors. La périphérie du corps forme une surface où les plaques terminales des nerfs sont inégalement distribuées. Rares ou nombreux, les filets nerveux reçoivent et transmettent, des divers points du corps, des impressions, c’est-à-dire des ébranlements moléculaires, se centralisent dans la moelle, remontent dans le bulbe et l’isthme de l’encéphale. Là, nouvel apport, celui des nerfs crâniens : la transmission des impressions sensoriel-